«
Jones, est-ce que tu as eu le temps de jeter un coup d’œil au dossier dont je t’ai parlé hier? » Je me retins de ne pas lever les yeux au ciel. Je ne pouvais pas répondre de manière trop sèche à celui qui était techniquement mon supérieur pour le moment, quand bien même je n’étais pas vraiment d’humeur conciliante. Les journées au département de la coopération internationale du Ministère de la magie n’étaient jamais de tout repos. Debout depuis sept heures du matin, il me semblait que la journée n’en finissait pas. Je n’avais même pas pu me poser pour prendre une tasse de thé, une habitude purement anglaise qui me permettait de reprendre mes esprits l’espace d’une demi-heure et que les Américains avaient peine à comprendre. Rien de mieux qu’une tasse de
coffee, cette boue sombre au goût infâme. J’inspirais et expirais profondément, avant de me reprendre. Il fallait voir le verre à moitié plein : j’étais ici parce que j’aimais ce que je faisais. C'était la vie que j'avais choisie, en quittant l'Angleterre trois ans plus tôt. Cette normalité me permettait d'avancer et de m'épanouir, loin de la tumultueuse Angleterre.
«
Non pas encore… » Je ne pus terminer ma phrase qu’un hibou s’engouffrait par la fenêtre du bureau. Mon visage s’assombrit, alors que je m’approchais de la bête pour détacher ce qui était solidement accroché à sa patte. Il y eut un temps où je trépignais d’impatience d’en apercevoir l’ombre au loin. Aujourd’hui, recevoir des lettres ne pouvait que m’alarmer. En cette période particulièrement nébuleuse dans le monde des sorciers, comment pouvais-je deviner si l’enveloppe ne contenait pas une triste nouvelle ? Si j’avais réussi à m’éloigner de ce qui était le centre des activités des mangemorts et de leur terrible Maître, ma famille et mes plus proches amis se trouvaient toujours en Angleterre. Certains s’étaient même engagés à combattre les ténèbres au péril de leur vie. De plus, la santé de ma mère ne faisait que s’aggraver, et malgré ce que pouvait m’affirmer mon père, son état ne s’améliorait pas. Alors c’était avec des mains tremblantes que j’ouvrais chaque courrier, en espérant qu’il ne s’agisse que de quelques mots rassurants d’un vieil ami ou de mon père, une facture ou une dépêche urgente pour le travail. Rien de grave en somme.
Soigneusement, j’entrepris de décacheter l’enveloppe. Je n’étais pas vraiment douée en divination, mais la maladresse avec laquelle le sceau avait été apposé ne présageait rien de bon. Pour quelle raison l’expéditeur avait-il été aussi pressé ? Je sortis un petit mot, quelques lignes seulement, rédigées de façon très confuse. Je reconnus l’écriture de mon paternel, m’annonçant une funeste nouvelle.
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«
Mrs Jones, vous vous sentez mieux ? » La luminosité de la pièce agressait tellement mes yeux, que j’aurais préféré ne pas avoir à les ouvrir. C’est pourtant ce que je fis, avec beaucoup de difficulté. La voix que je n'avais pas pu identifier au premier abord appartenait à l'homme en uniforme blanc qui se trouvait à mon chevet. Un médecin ? J'étais donc allongée sur ce que je devinais être un lit d'hôpital. «
Oui, je vais bien docteur merci beaucoup. Que s’est-il passé ? » Et alors que je posais cette question, je me remémorais les derniers instants qui précédaient celui-ci. La lettre que j'avais ouverte m'annonçait la mort de ma mère. Rien que d'y penser, mes yeux commencèrent à s'embuer de larmes. Ce n'était pas le moment de pleurer; il fallait que je pense à mon père, seul en Angleterre, et qui n'attendait que le retour de sa fille à présent.
«
Rien de grave, ne vous en faites pas autant ! » Le médecin n'avait pas l'air de se rendre compte que ce n'était pas mon état qui me bouleversait à ce point, mais une autre raison bien plus tragique. Alors que j'avais réussi à construire ma vie dans un autre pays, loin des soucis de l'Angleterre, je n'avais qu'une seule envie à présent : y retourner. Un sentiment de culpabilité en prime, puisque je n'avais pas été au chevet de ma propre mère pour ses derniers instants. Comment pouvais-je prétendre que la famille était ce qui m'importait le plus, alors que je n'avais pas été présente pour la mienne lorsqu'elle en avait eu le plus besoin ? «
Vous avez perdu connaissance, en raison de la fatigue et du stress. C’est tout à fait normal en début de grossesse. Ne vous inquiétez pas, le bébé va bien. »
«
Pardon ? Le bébé ? » m'exclamais-je d'une voix paniquée, en entendant, et surtout, en assimilant les paroles du toubib en blouse blanche. «
Vous… vous n’étiez pas au courant ? Vous êtes enceinte Mrs Jone, toutes mes félicitations ! » De quoi pouvait-il bien parler ? Bien sûr que non, je n'étais pas enceinte ! Pas encore tout du moins. Cela ne faisait que quelques mois que Seb et moi étions mariés. Et si nous voulions tous les deux agrandir notre famille, nous avions décidé d'attendre un peu. Je m'inquiétais surtout pour le bien-être de notre enfant : comment serait-il possible d'en élever un, au milieu de toute cette agitation ? Quand bien même je m'étais installée avec mon mari aux États-Unis, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom et ses adeptes ne se limitaient pas au territoire de la Grande Bretagne pour perpétrer leurs atrocités. Tout le monde était en danger. Et mettre un océan entre l'Angleterre et moi n'avait pas endormi mes craintes à ce sujet. Alors avoir un enfant
maintenant ? J’avais l’impression que le ciel venait de tomber sur ma tête. En une seule journée, j’avais appris la mort de ma chère et tendre mère, et le fait que j’attendais un enfant. Tout allait bien se passer... Tout
devait bien se passer.
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Cela faisait trois ans que j'avais fait mes bagages et que j'avais quitté l'Angleterre, sans y retourner une seule fois, pas même pour me rendre au chevet de ma défunte mère... Malgré toute l'affection que je pouvais avoir pour cet endroit, ce serait un mensonge de dire que la vie ici m’avait manquée. Cette décision n'avait pas été simple ; bien au contraire. Avant de quitter le pays, j'avais une vie, des amis, et surtout un fiancé que j'avais aimé de longues années durant. Le laisser ici, partir à l'étranger, tout cela m'avait brisé le cœur. Les premiers mois avaient été très difficiles ; les regrets me submergeaient à chaque fois quelque chose ou quelqu'un me remémorait cette période de ma vie. Avais-je eu tort de partir ainsi, de fuir la torpeur oppressante de l'Angleterre ?
Et puis il y eut Sebastian. Un fidèle ami, puis un amant, avant de devenir mon mari. Un seul de ses sourires pouvait me faire oublier les sombres pensées qui surgissaient de temps à autre dans ma tête survoltée de Serdaigle. J'étais heureuse à ses côtés. Et nous allions avoir un enfant, même si j'attendais encore un peu le bon moment pour lui apprendre la bonne nouvelle. La perte de ma mère était encore bien trop récente pour que je me laisse aller à la joie et au bonheur. J'appréhendais également mon retour à Londres. J'appréhendais surtout de me retrouver face à une certaine personne, qui revenait parfois hanter mes pensées, même si je me considérais comme étant heureuse à présent.