Drinking and Talking - Agathe

Les habitudes, la constance et la routine. Voilà une notion qui en ennuyait plus d'un. Qu'une activité se répète inlassablement et sans jamais changer. Pour Andreas, c'était tout l'opposé. Il y avait quelque chose de rassurant à choisir ses thés en fonction des moments de la journée ou des situations dans lesquelles il se trouvait. Il y avait quelque chose de palpitant, à s'asseoir sur la chaise de son bureau une fois le soleil couché, et à se plonger dans les textes anciens d'arithmancie, dans les essais de mathématiques, à utiliser la même plume depuis des décennies. Ainsi, il ne pouvait être déçu, ainsi on ne pouvait le tromper. Pour beaucoup, sa vie aurait paru monotone, et peu la lui enviait. Pourtant, il était serein et plein d'un calme que bon nombre d'humains ne toucheraient jamais du doigt. Il ne découvrait de nouveaux paysages que très rarement et seulement en présence de personnes de confiance. Mais c'était la seule façon qu'il avait trouvé pour ne pas déclencher de crises, pour ne pas se ridiculiser ou inquiéter les autres autour. C'était son mode de vie.

Une des habitudes que le professeur appréciait grandement, c'était les rencontres mensuelles avec la  plus proche amie de sa sœur. Il ne fallait rien voir d'autres dans ces rencontres que deux personnes qui auraient pu ne jamais se côtoyer et qui, pourtant, s'étaient rencontrés par la force des choses et avaient appris à s'apprécier. Agathe était une jeune femme aussi brillante que lumineuse, une femme qui avait été son élève, et la copine de son frère. Mêlé à sa vie sans qu'il ne le demande, il s'était d'abord montré froid et distant comme à l'accoutumé. Jusqu'à ce qu'elle vienne le chercher dans son bureau, jusqu'à ce qu'elle confie les violences dont elle était la proie. Touché par cette marque de confiance, frustré de ne pouvoir faire plus qu'apporter une oreille réconfortante, Andreas l'avait en quelque sorte prise sous son aile, c'était ainsi en tout cas que sa sœur l'avait gentiment moqué. Mais peut-être n'était-ce pas une moquerie , Andreas avait toujours de grandes peines à faire la différence entre sérieux, ironie et moquerie. Pourquoi diantre les hommes se montraient si différents et perturbants ?

Assis à sa table aux Trois Balais – sa table parce que c'était celle-ci qu'il choisissait toujours – à un moment de la journée où peu de gens s'y trouvaient, Andreas attendait la venue de la jeune femme. entre ces doigts, une tasse de thé noir fumante le réchauffait et calmait ses nerfs. Les notes de cannelle et de noisette ne signifiaient qu'une seule. Que cette rencontre ci avait un goût doux-amer, son instinct lui dictait que l'ancienne Griffondor n'était pas pour rien dans la poussée révolutionnaire de sa sœur – poussée qui l'inquiétait que trop et détournait son attention de sujets très importants. Après plusieurs mois sans rien oser dire, à formuler dans sa tête la meilleure manière d'aborder le sujet, fait rare chez le professeur qui avait d'ordinaire tendance à être un peu trop honnête. Andreas avait décidé qu'aujourd'hui était le Jour, et rien ne l'aurait fait revenir sur sa décision. Il sortit la montre à gousset de son veston et en contempla les aiguilles, espérant qu'elle viendrait, qu'elle n'aurait pas de retard, que tout se passerait comme prévu.

Oui, les habitudes étaient rassurantes ; les imprévus, beaucoup moins.

Agathe arriva finalement, et un sourire se dessina sur les lèvres du professeur. Sourire maladroit et figé qui dénotait de la rareté de cet acte et de l’importance que cette rencontre signifiait pour lui. Il ne prit même pas la peine de la corriger sur sa remarque, la chance n’avait rien à avoir dans l’histoire. Tout était question de précaution, d’habitude, et de timing. Et en cela, Andreas excellait. Mais quel aurait été l’intérêt de le lui faire remarquer ? Après des années à se faire réprimander ou harceler à cause de commentaires de ce genre, il avait appris qu’il valait mieux se taire dans la plupart des cas. Et par précaution, il préférait parler moins que trop. « J’espère que tu accepteras mes excuses mais je ne t’ai pas attendue pour commander. J’avais besoin de ce remontant. » J’avais grand besoin d’un peu de courage sous la forme de ce thé revigorant. Aurait-il pu tout aussi bien dire.

Comme dans la plupart des interactions sociales, Andreas ne savait pas par quoi commencer, il fut donc soulager de constater qu’Agathe prenait les devants en s’enquérant de sa santé et des nouvelles qu’il pourrait lui apporter. Le professeur - même après des années à la côtoyer - ne se comportait pas aussi librement qu’il le faisait avec sa sœur. Peut-être était-ce du fait que son prénom signifiait six dans la langue de l’arithmancie, et que c’était là un chiffre dont il avait appris à se méfier. Ou plus vraisemblablement parce qu’il était fait ainsi. Il inspira et réfléchit longuement à la question qui lui était posée. aussi anodine qu’elle était, Andreas ne répondait jamais en se précipitant. Comment allait-il et qu’elles étaient les nouvelles ? Il repensa à la mission pour l’Ordre qu’il venait d’effectuer avec ce réservé et respectable Moody, puis ses pensées l’entraînèrent vers Poppy Pomfrey, la délicieuse infirmière qu’il n’avait revu - chose étrange et qu’il constatait seulement maintenant - depuis leur rencontre fortuite dans les couloirs de Poudlar. Mais surtout, il pensa à sa soeur, au réel but donner à cette rencontre, à l’inquiétude et la peur (il avait pu enfin mettre des mots sur ses tachycardies et autres hyperventilations) qu’il ressentait depuis qu’il avait appris pour Ingrid et son choix audacieux de rejoindre les rangs serrés et risqués de la Résistance.

Andreas poussa un soupir. Et ses yeux se plongèrent une demi-seconde dans le regard d’Agathe avant de s’en détourner, comme de coutume. « Tu le sais sans soute Agathe, mais ma soeur a rejoint l’Ordre. » Il ne pouvait faire de détour en abordant ce sujet au combien délicat. « Et je n’en suis pas réellement satisfait. Même si je sais bien ne pas avoir le droit de décider de sa vie et de ses choix. C’est une situation qui me met dans une position pour le moins inconfortable. » en biais, Andreas scruta sa réaction en recherche de culpabilité, de regret, d’approbation ou de toute autre réaction émotionnelle qu’il n’aurait de toute façon aucunement la possibilité de remarquer. L’humain et ses émotions restait et resterait toujours et ce malgré ses efforts, un mystère.