july, 16. « Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaire Mary, joyeux anniversaire ! » La petite fille, les joues rougies d'excitation, souffla ses onze bougies en un seul souffle qui la laissa haletante. Elle ferma alors les yeux et joignit les mains quelques instants, puis bondit de sa chaise.
« Voilà ! J'ai fait un vœu ! » annonça-t-elle, ravie, à la dizaine de personnes réunie autour de la table. Ses parents, ses trois frères, ses grands-parents, son oncle, sa tante et ses deux cousins applaudirent bruyamment la petite dernière, et seule fille, de la famille.
« C'est quoi ? » lui demanda Liam, quinze ans, le plus jeune de ses trois frères. Mary ouvrit la bouche comme pour répondre, mais elle s'arrêta soudain, fronçant ses sourcils, ce qui lui donna un air sévère. Elle ressemblait beaucoup à sa mère, à ce moment-là.
« Ça se dit pas ! Tu veux que mon vœu ne se réalise pas, ou quoi ? » Tout le monde rit, plus ou moins discrètement, de la détermination de leur petite dernière. Mary, en tant que seule fille de la plus jeune génération des MacDonald, était la petite protégée de ses trois frères, de ses deux cousins, mais aussi de son oncle, de son père et de son grand-père. Une charge parfois lourde à porter que l'attention de tous ces hommes. Heureusement, elle pouvait compter sur le soutien de sa mère et de sa tante qui avaient été toutes deux ravies de pouvoir compter une nouvelle touche féminine dans leur petite famille.
« Allez, grenouille, ouvre tes cadeaux. » Mary regarda Ethan, son grand frère de vingt ans, en hochant la tête d'un air ravi. Ethan avait toujours été très proche de Mary, la protégeant et la défendant de ses deux autres frères qui avaient tendance à la taquiner sans cesse. La petite fille, ravie, se jeta sur la montagne de cadeaux qui était soudain apparue sur la table. Les discussions reprirent pendant que la benjamine ouvrait ses paquets, poussant des petits cris d'émerveillement à chaque nouvelle découverte. Alors que Mary déchirait le papier emballant son dernier cadeau, un strident cri de hibou fit cesser les conversation. Mary releva brusquement la tête.
Un silence total était tombé sur la longue table posé dans le jardin du manoir MacDonald, ce qui n'était pas chose commune. Généralement, chacun avait toujours quelque chose à dire. Mais à cet instant, personne ne parlait. Maggie, la grand-mère, avait posé sa main sur sa bouche, les yeux brillants. Ethan, Charlie et Liam, les trois frères de Mary, avaient un petit sourire en coin. Gareth, son père, semblait ému et pourtant Merlin seul savait qu'il en fallait beaucoup pour toucher cet homme politique qui en avait vu des vertes et des pas mûres. Bartholomew, le patriarche MacDonald, couronnait l'assemblée du bout de la table d'un air grave mais fier. Le hibou vint se poser devant Mary, qui s'immobilisa. Sa mère, la douce Abby, seule moldue de l'assemblée, posa sa main sur la joue de sa fille.
« Ouvre-la, ma chérie, c'est pour toi. » Les mains tremblantes, Mary détacha la lettre de la patte du hibou. Elle ouvrit doucement l'enveloppe, et en sortit deux longs parchemins. Dans le silence le plus total, elle déchiffra les quelques lignes tracées à l'encre verte sur le premier. Le silence s'éternisait, et Mary ne bougeait pas.
Puis soudain, faisant sursauter grand-mère Maggie qui posa une main sur son coeur, la fillette bondit sur sa chaise en hurlant.
« JE SUIS ACCEPTEE A POUDLARD ! » Elle se jeta dans les bras d'Ethan, assis à sa droite, qui éclata de rire en posant un baiser sur son front. Toute la petite assemblée se mit alors à parler plus fort les uns que les autres, chacun commentant l'évènement, chacun allant de sa petite anecdote sur la célèbre école de sorcellerie.
« Je vais à Poudlard, Ethan ! Tu te rends compte ! » s'exclama encore une fois Mary en s'asseyant sur les genoux de son frère.
« Mais moi, je n'en ai jamais douté, grenouille. Je me souviens encore quand tu avais coloré mon rat en jaune parce qu'il avait mangé dans ton bol de céréales ! T'avais à peine trois ans ! En tout cas, je suis fier de toi. » Mary éclata de nouveau de rire. La fête continua alors, Mary passant de bras en bras, chacun voulant la féliciter pour sa toute récente admission dans la plus grande école de sorcellerie d'Angleterre. Son grand-père fut solennel comme à son habitude, sa grand-mère fondit en larmes, ses frères et ses cousins s'amusèrent à lui faire peur en lui racontant toutes sortes d'anecdotes idiotes... Et finalement, Mary se retrouva entourée de ses deux parents. Elle leur offrit un large sourire et sa mère, les larmes aux yeux, la prit dans ses bras.
« Oh ma petite chérie, je suis tellement fière de toi ! Mais tu vas tellement me manquer ! Tous mes petits monstres quittent la maison, ça y est ! » Mary se blottit dans les bras de sa mère. Bien sûr qu'elle était triste de quitter la maison. Mais Poudlard !
« C'était mon vœu, tu sais. De recevoir la lettre. » Abby lui offrit un doux sourire, et la fillette se demanda si elle ne s'en doutait pas un peu. Sa mère se doutait toujours de tout, de toute façon. Puis son père s'accroupit à sa hauteur. Son père, le rigide Gareth MacDonald, célèbre et respecté politicien, qui même s'il le montrait peu, aimait tendrement sa femme et chacun de ses enfants.
« Ma petite Mary... Alors tu vas à Poudlard. Je n'en ai jamais douté, mais tu sais, cela me brise le coeur. Je pensais que, au moins toi, je pourrais te garder pour toujours à mes côtés. Il faut bien que je réalise que mes enfants grandissent et que bientôt, je ne serais plus qu'un vieil homme dans son grand manoir. » Mary, la lèvre tremblante, se jeta dans les bras de son père. Celui-ci lui murmura à l'oreille.
« Je suis fier de toi, ma petite grenouille. La dernière MacDonald s'en va à Poudlard, alors ce grand château n'a qu'à bien se tenir ! »september, 15. Mary était extrêmement concentrée. Elle ne l'avait jamais autant été, surtout pas sur un balai. D'habitude, elle jouait d'instinct, elle ne prenait même pas la peine de réfléchir. Depuis qu'elle était entrée à Poudlard et qu'elle avait commencé à s'entraîner au Quidditch, elle avait découvert une autre forme de jeu. Plus en finesse et en souplesse, plus technique aussi. Moins rude, le Quidditch, contrairement au Creaothceann, n'était pas une démonstration de force brute. Si Mary ne renierait jamais le Creaothceann, le sport de son enfance, une véritable tradition familiale, elle devait reconnaître que le Quidditch convenait mieux à sa petite taille et à son agilité. Au Creaothceann, elle n'était doué que grâce à sa vivacité qui faisait qu'elle réussissait sans peine à se faufiler entre les pierres, mais ses maigres forces comparées à celles des hommes de la famille ne lui permettait pas de s'emparer des rocs les plus gros. Le Quidditch, contrairement au Creaothceann, permettait donc à Mary d'exprimer tout son talent sur un balai, ce don qu'elle avait cultivé depuis sa plus tendre enfance. Après tout, chez les MacDonald, même si le Quidditch était peu pratiqué, les balais, eux, étaient vénérés, et Mary avait presque su voler avant de savoir marcher.
La sensation de stress qui lui prenait le ventre alors qu'elle était perchée à plusieurs mètres du sol était donc nouvelle pour elle, mais aujourd'hui, Mary passait les sélections pour rentrer dans l'équipe de Quidditch de Gryffondor. Les mains crispées sur le manche de son balai, elle priait pour que Philippe Bell rate le but qu'il s'apprêtait à tirer. Ils avaient été ex-aequo aux premiers essais, les seuls, sur les cinq prétendants au poste de poursuiveur, à réussir à marquer cinq buts sur cinq. Le capitaine avait alors exigé un second round. Mary savait que pour tout le monde, le choix était déjà fait. Que valait-elle, petite troisième année maigrichonne, face au grand et beau Philippe Bell de sixième année ? Mais les encouragements de Lily, Emmeline et Marlène dans les tribunes, ainsi que sa détermination, lui faisaient croire au miracle.
Et le miracle eut lieu quand la gardienne de l'équipe arrêta le -pourtant magnifique- tir que Bell venait de faire. Mary poussa une exclamation de joie, qui ressemblait plus à un glapissement dans l'état où elle se trouvait. Elle ne croyait pas à sa chance. Bell semblait fou de rage et il fusilla la gardienne du regard, ainsi que Mary quand il passa devant elle pour se poser au sol.
« MacDonald, à toi ! » s'exclama le capitaine, qui observait l'action depuis le sol. Mary sursauta sur son balai, et elle ne dut qu'à sa maîtrise de ne pas glisser. Elle prit une grande inspiration. Il fallait qu'elle se calme. Elle pouvait le faire. Les cris d'encouragement de ses amis, à peine perceptible à cause du vent qui sifflait à ses oreilles, la réconfortèrent. Pour une fois que Lily venait se percher sur les gradins de Quidditch ! Oui, elle savait qu'elle pouvait le faire ! Elle s'était entraînée dur, elle avait même refusé de se présenter aux sélections l'année passée, persuadée qu'il lui fallait encore un an d'entraînement avant d'atteindre un niveau convenable. Maintenant, elle était prête.
« MacDonald, on a pas toute la journée ! Tu bouges ton cul ou t'es éliminée d'office ! » Mary sortit brutalement de ses pensées. Elle ne s'était pas rendue compte du temps qui passait. Elle jeta un regard soucieux vers le capitaine. Même lui ne croyait pas en ses chances, mais elle ne pouvait le blâmer. Elle ne payait pas de mine, la petite Mary, du haut se son mètre cinquante. Mais elle allait leur montrer de quel balai se chauffait un MacDonald ! Un sourire confiant fleurit sur ses lèvres, et enfin, elle s'élança. L'un des poursuiveurs titulaires de l'équipe lui passa un souaffle qu'elle attrapa avec dextérité et, avec toute la puissance de son balai, Mary se rua vers les buts. La gardienne était douée mais il fallait qu'elle trouve une faille. Une faille, une faille... A quelques mètres seulement des buts, Mary se mordait les lèvres de concentration, prête à réagir au premier signe que... Là ! La gardienne lui laissait libre l'anneau de droite ! Mary se pencha le plus qu'elle put, son balai fit un bond en avant. De sa main droite, elle lança le souaffle avec le plus de force qu'elle put, puis elle ferma les yeux. Elle ne voulait pas voir ça.
Ce furent des cris stridents qui la ramenèrent à la réalité. Elle ouvrit brusquement les yeux et son regard se fixa sur Lily, Emmeline et Marlène qui sautait comme des pitiponks dans les tribunes de Gryffondor, hurlant leur joie. Elle mit un instant à comprendre, puis elle hoqueta de surprise. Elle avait marqué ? Elle avait marqué ! Un large sourire apparut alors sur ses lèvres. La jeune Gryffondor fit tout doucement redescendre son balai sur la pelouse du stade, profitant du vent dans ses cheveux et de l'allégresse qu'elle ressentait en cet instant. Finalement, elle posa pied à terre. Ses amies qui, entre temps, avaient rejoint le terrain, se jetèrent sur elle en hurlant.
« T'as été géniale ! » s'exclama Lily en posant un baiser sur sa joue, et ce même si elle n'y connaissait absolument rien au Quidditch. Mary, elle, n'en revenait toujours pas.
« MacDonald ! » L'appel du capitaine résonna comme un gong aux oreilles de Mary. Ses amies se turent et la troisième année se retourna tout doucement. Elle était vaguement inquiète. Et si, finalement, il ne voulait pas d'elle ?
« Pas mal, pour une minus, MacDonald. Tiens, voici ta nouvelle tenue. Rendez-vous mercredi à 18h pour ton premier entraînement. Et ne sois pas en retard ! » lança-t-il sèchement avant de tourner les talons. Mais dans son regard, Mary avait remarqué une lueur nouvelle, qui n'existait pas quelques minutes à peine, elle en aurait juré. Du respect. Elle laissa alors éclaté sa joie dans un grand éclat de rire. Elle était la nouvelle poursuiveuse de Gryffondor !
march, 13. Mary ne pleurait pas. Elle n'avait pas versé une larme depuis l'attaque. Elle n'avait presque pas parlé non plus. Juste de quoi rassurer ses amies, rassurer l'infirmière et rassurer son père et Ethan, qui étaient venues la voir le jour où elle s'était réveillée. Ah, oui, et quelques phrases à Dumbledore aussi, qui était venu l'interroger pour savoir si elle se rappelait de ce qui lui était arrivé. Mais Emmeline lui ayant déjà raconté l'essentiel, il l'avait vite laissé tranquille.
Mary se sentait vide. Vide, comme une coquille de bigorneau abandonnée par son locataire. Elle n'avait pas réagi quand Lily, grimaçante, lui avait tendu un miroir pour qu'elle puisse contempler les dégâts. Elle avait une énorme cicatrice sur le crâne et tout le côté droit de ses cheveux avait disparu. Une plus petite cicatrice sur la joue. L'infirmière avait assuré qu'elle ne garderait pas de trace, mais qu'en attendant que ça cicatrise, elle ne pouvait faire repousser les cheveux. Mais Mary s'en fichait. Elle ne ressentait rien. Elle n'avait pas réagi non plus quand Emmeline s'était effondré sur son lit en pleurant et en lui demandant pardon de ne pas avoir réussi à la défendre. En temps normal, elle aurait essayé de rassurer son amie, elle lui aurait promis qu'elle ne lui en voulait pas. C'était vrai, elle ne lui en voulait pas. Mais elle ne ressentait rien.
Non, elle ressentait quelque chose. Elle se sentait sale. Comme si des mains impures avaient parcouru son corps, comme si Mulciber l'avait touché, l'avait marqué, l'avait violé. Il l'avait sali avec sa magie noire, sali avec sa haine. Elle se sentait sale et elle avait peur. La nuit, elle n'était plus vide. Elle était emplie de cauchemar. Elle revoyait sans cesse Mulciber. Mulciber, Mulciber, Mulciber. Il hantait ses pensées et ses songes, il l'accompagnait dans les moindres recoins de son esprit. Elle n'était pas pressée de quitter l'infirmerie car cela signifierait le revoir. Elle savait, de par Lily, qu'il n'avait pas été renvoyé définitivement. Et cela plus que tout la terrifiait. Elle ne voulait pas le revoir. Jamais.
La porte de l'infirmerie claqua et Mary tourna la tête. Avant, elle aurait esquissé un sourire en voyant son amie rentrer dans l'infirmerie, elle l'aurait accueilli avec plaisir. Plus maintenant. Mary avait l'impression, parfois, qu'elle était morte. Lily s'approcha du lit de la brune, un pauvre sourire aux lèvres et un panier dans la main.
« Je t'ai ramené du chocolat. Tu en as au moins pour trois ans ! Tous les Gryffondors s'y sont mis et je crois que les Maraudeurs ont donné la totalité de leur réserve. » La rouquine s'assit sur le bord du lit en posant le panier sur les genoux de la malade. Qui ne réagit pas.
« Mary... » soupira la jeune préfète, la voix tremblante. Mary avait l'impression qu'elle allait pleurer. Elle ne voulait pas qu'elle pleure. Mais elle se sentait incapable de faire le moindre geste vers son amie.
« Mary, cela fait quatre jours maintenant. Quatre jours que tu es réveillée et tu sais... On s'inquiète. Les filles m'ont envoyé pour te parler parce qu'elles pensent que je saurais mieux trouver les mots mais... Je n'en suis pas sûre. Tu sais, on a reçu des lettres de tes parents, de tes frères... Ils s'inquiètent eux aussi. Apparemment, tu ne leurs réponds pas. » La rouquine passa une main dans ses cheveux, comme pour chercher ses mots. Mary la regardait avec toujours le même regard vide.
« Ça ne te ressemble pas Mary. Alors je ne sais pas ce que tu peux ressentir, c'est vrai. Je n'ai pas vécu ce que tu as vécu. Et c'est vrai que personne n'est à ta place. Mais laisse nous essayer, Mary... On veut tous t'aider, et te voir comme ça... Aussi apathique... Ça nous fait du mal, petit cœur. On a envie de retrouver notre Mary souriante et joyeuse, chaleureuse et attentionnée, notre Mary qu'on aime ! » Peu à peu, Lily s'était mise à pleurer doucement en serrant de plus en plus fort la main de la jeune MacDonald. Mary, quand à elle, sentait le mur de glace qui la séparait du monde fondre petit à petit sous les mots de Lily. C'était un torrent de sensations qui se déversait en elle. De la douleur, de la peine, de la peur, de la tristesse, de la colère, de l'angoisse... Tout ce qu'elle avait refoulé en quatre jours. Lily parut se rendre compte que son amie réagissait.
« Mary parle moi ! On est là, on est toutes là pour toi ! Je suis là. Dis-moi ce que tu ressens, dis moi comment tu vas. On veut toutes t'aider Mary alors laisse nous partager ton fardeau... » Soudain, ce fut trop. Le torrent d'émotions que Mary avait tenté de refouler jusque là se déversa en elle à la vitesse d'une cascade et elle explosa en sanglots dans les bras de son amie.
« Oh Lily... » balbutia-t-elle entre deux crises de larmes.
« J'ai... J'ai tellement... tellement peur... »Cela fait deux ans que j'ai été attaqué par Mulciber. Pour tout le monde, c'est oublié. Bien sûr, quand je le croise dans les couloirs, mes amies font bloc autour de moi, et tous les Gryffondors en général lui lancent des regards noirs mais personne ne peut songer que cet évènement me traumatise encore. Moi-même je ne le pensais pas. J'ai enfoui cet évènement dans ma mémoire, je n'en ai parlé avec personne depuis deux ans, je n'ai pas voulu. Je voulais oublier. Sauf que l'on n'oublie pas ses peur, jamais. On les combat, on les affronte, on les surpasse. Mais on ne les oublie pas. Elles ressurgissent toujours. C'est ce qui est arrivé. Mulciber a ressurgi dans mes rêves cet été, par une nuit d'orage de juillet. Et depuis, il est devenu mon cauchemar quotidien.
august, 4. Respiration sifflante et mains tremblantes. Mary tourne la tête pour appuyer sa joue contre la pierre froide du mur contre lequel elle est assise. La fraîcheur du roc l'apaise un peu. Elle tente de calmer le tremblement de ses mains, sans succès. Elle soupire bruyamment. Cela fait la troisième crise de la semaine. Heureusement, encore une fois, elle n'était pas au manoir. Elle était de moins en moins au manoir, de toute façon. Depuis le début de ses crises, elle profitait allégrement de son tout récent permis de transplanage pour passer ses journée dans des villes moldues, où elle était sûre de passer incognito. Parce qu'
elles étaient imprévisibles. Et ce que Mary ne voulait surtout pas, c'était que sa famille l'apprenne. Elle ne voulait pas les mêler à ça. C'était sa névrose, son cauchemar. Personne ne pouvait l'aider, elle en était intimement convaincu, et elle ne voyait donc pas la nécessité d'en informer qui que ce soit. Alors quand les crises survenaient la nuit, elle se faisait discrète, ce qui n'était pas trop dur dans le grand manoir familial. Et la journée, elle fuyait le plus possible ses parents et ses frères, pour ne pas risquer qu'ils la surprennent dans un moment compromettant.
Mary faisait des crises d'angoisse. Depuis un mois maintenant. Ça avait commencé une nuit, après un cauchemar particulièrement violent, et ça la prenait de temps en temps, lorsqu'un évènement, un objet, une parole lui rappelait ses peurs. Aujourd'hui, en se baladant dans les rues de Glasgow, elle avait croisé un homme qui LUI ressemblait. Et elle avait paniqué. La première crise avait été horrible. Elle n'avait pas compris ce qui lui arrivait. Elle avait cru mourir, avait commencé à s'étouffer, à ne plus pouvoir respirer. Elle avait été prise de convulsions. Elle avait crié. Mais sa chambre était située dans l'aile des enfants, vide depuis que ses frères avaient quitté la maison. Ses parents n'avaient rien entendu, pas plus que leur elfe de maison. Elle avait eu tellement peur... Elle ne s'était pas rendormie de toute la nuit.
« Mademoiselle ? Vous allez bien ? » Mary relève la tête brusquement, en sursautant. Un jeune homme, blouson en cuire et jean troué, se tient devant elle. Tout à fait le genre de personne que son grand-père qualifierait de mauvais garçon. La jeune sorcière tente d'esquisser un sourire, qui doit sûrement ressembler à une grimace, pour rassurer l'inconnu.
« Euh... Oui, ça va, merci. » bafouille-t-elle. Pourquoi cet idiot s'intéresse-t-il à elle ? Elle ne lui a rien demandé, et puis elle a fait exprès de trouver une petite ruelle calme avant de s'effondrer sur le sol, quand elle a senti la crise arriver. Mais à bien y réfléchir, c'était tout à fait le genre de petite ruelle calme où Sirius Black pourrait traîner pour préparer des mauvais coups, et ce garçon avait à peu prêt la même dégaine que Sirius Black.
« T'es sûr ? T'es vraiment très pâle. Tu veux que je t'aide à te relever ? » Tiens, il est passé au tutoiement. Ça ne le dérange pas, après tout ils doivent avoir le même âge. Elle veut refuser sa proposition et tente de se lever elle-même, mais ses jambes ne la portent pas. Elle s'effondre contre le mur et grimace. Il faut bien qu'elle se rende à l'évidence... Mary lève alors la tête vers le garçon qui la regarde d'un air inquiet et elle hoche la tête, incapable de parler. Elle doit être pitoyable. Sans un mot, il s'accroupit, passe autour de sa taille, et la relève comme si elle ne pesait pas plus qu'une plume. Mary s'appuie un moment contre lui, la tête lui tourne un peu. Elle attend quelques instants, puis arrive finalement à se détacher de son tout nouveau sauveur.
« Merci. » Il se dédouane d'un sourire et d'un geste de la main, puis la regarde fixement, en penchant un peu sa tête sur le côté. Mary se sent légèrement rougir.
« Écoute, tu n'as vraiment pas l'air bien. Je t'emmène boire quelque chose, il y a un café sympa à côté. » La jeune sorcière sent sa gorge se serrer, sa respiration accelerer. Il l'amène boire un verre ? Elle ne le connaît pas ! Peut-être que... Peut-être qu'il... Elle ferme un instant les yeux. Il faut qu'elle se calme, ce type n'est pas Mulciber. Ce n'est même pas un sorcier et elle, elle est majeure et elle a sa baguette. Elle n'a rien à craindre. Elle ne craint rien. Interprétant mal son hésitation, il précise.
« Promis, c'est pas de la drague ! C'est juste que je veux m'assurer que t'as repris un peu d'énergie avant de te laisser filer. » Elle hésite encore un peu. Mais il a l'air gentil, il a un doux sourire, et il lui rappelle un peu Sirius avec son blouson en cuir. Alors elle accepte. Elle songe à cet instant que son père et ses trois frères crieraient au scandale si ils apprenaient qu'elle suivait un garçon qu'elle ne connaissait pas, mais ils avaient toujours tendance à la surprotéger.
« Alors tu ne veux pas me dire ce qu'il t'est arrivé ? » Mary pince les lèvres. Puis soudain, elle revoit le visage de cet homme, si semblable à celui de son démon. Elle se met à trembler, des larmes se forment au coin de ses yeux.
« Eh, Marie, ça va ? » Elle hoche doucement la tête, mais ses mains tremblent toujours. Elle serre son verre à s'en blanchir les jointures et sirote une gorgée de cette boisson brune, sucrée et pétillante qu'il a commandé pour elle, assurant qu'elle contenait suffisamment de sucre pour la requinquer. Il pose alors sa main sur son épaule, et ce simple geste suffit à calmer Mary, à la ramener à une réalité où Mulciber est absent de ses pensées. Aussi étonnant soit ce garçon, et aussi mauvais genre fait-il, c'est une perle de gentillesse. Mary lui sourit fébrilement. Un silence s'installe autour de la petite table de café, la jeune sorcière ne sait pas trop quoi dire, mais ça n'a pas l'air de déranger son compagnon, qui tire quelque chose de la poche intérieur de son blouson.
« Tu en veux une ? » demande-t-il en mettant à sa bouche un petit tube de papier. Mary fronce les sourcils.
« Qu'est-ce que c'est ? » lâche-t-elle, sans pouvoir se retenir, avant de se rendre compte que le moldu va sûrement trouver sa question bizarre. Pourtant, il ne semble pas s'en formaliser.
« Des Lucky Strike. Moi, la clope, ça m'aide à me calmer quand je vais pas bien. Après, je te préviens, c'est une vraie saloperie. » Elle ne comprend absolument rien à ses explications, alors elle le regarde en silence sortir un petit ustensile de sa poche de jean, en faire jaillir une flamme, et allumer l'embout du petit tube de papier. Il aspire alors, rejette la tête en arrière en fermant les yeux un instant, comme apaisé, puis fait sortir de sa bouche une vague de fumée blanche.
« Je veux bien essayer. » Il lui en donne une et elle imite ses gestes. Mais alors qu'elle aspire comme il l'a fait, elle s'étouffe violemment et elle sent des larmes se former au coin de ses yeux. Il rit doucement, et l'incite à recommencer. Méfiante, elle s'exécute. Au début, la fumée lui brûle la gorge et le goût âpre qui lui envahi la bouche lui déplaît. Mais au bout d'un moment, elle sent ses muscles se relâcher et sa tête tourner un peu. Comme si elle se détachait un peu du monde, comme si elle n'était pas vraiment là. Alors, elle aspire une dernière fois, balance la tête en arrière, et ferme les yeux. Il a raison. Ça lui fait du bien.