Le vent souffle sur la plaine de la Bretagne armoricaine | KELENA <3

le vent souffle sur la plaine de la Bretagne armoricaine

L'attente, interminable. Il a l'impression que dix nouvelles années se sont écoulées depuis la dernière fois, au Nouvel-an. Il arrive à peine à faire le vide dans sa tête. Au début, revoir Elena n'avait aucun sens. Elle n'était que de passage, et lui, il était persuadé qu'il pourrait tenir le coup, faire comme si de rien n'était. Une dose de drogue après des années d'abstinence, juste pour voir comment ça fait, comment son corps le prend. Une dose de drogue et puis s'en va. Mais les choses ne se sont pas réellement passées comme ça ; un soir, il a croisé Vesper, accoudée à son bar, un verre de whisky entre les mains. Et il a décidé de s'ouvrir, parce qu'il connait bien la jeune femme, et parce que malgré son nom de famille, elle avait une espèce de dette envers lui, qu'elle s'entêtait à vouloir payer. Pas grand-chose, pourtant. Une simple défense, un soir, contre un client trop éméché, trop insistant, trop lourd. Une simple remarque, ferme, un bras attrapé, un homme reconduit à la sortie, et voilà que la brunette se sentait redevable d'une attitude naturelle chez le brun, pourtant. Il ne lui demandait rien, mais quand elle a proposé cette idée folle pour ressouder les amants maudits, il n'a pas pu s'empêcher. L'occasion était aussi folle qu'elle était belle, alors il a donné son accord. Elle a joué les entremetteuses, elle a prêté son nom, et ce soir, elle prête son appartement. Et la chose est tellement belle qu'en plus, ce soir, Vesper occupe Arthur. Ils sont tranquilles, et si quoi que ce soit devait se produire, ils seraient avertis immédiatement. Un plan parfait, qui permet à Kieran de remettre à sa mère les clés du pub pour terminer la soirée. Elle ne sait pas pourquoi, sinon, elle le tuerait de ses mains de mère protectrice, cela va sans dire. Des secrets, toujours, partout.

Le plan est parfait, donc. Arthur est occupé avec Vesper, Elena se charge d'occuper son mari, et ils se retrouvent là, dans l'appartement de la brune. Protégé par des sorts, il leur offrira un repère. Et si la soirée se passe bien, peut-être même qu'ils pourront revenir. Et cette idée suffit à elle seule à faire tourner la tête de Kieran, qui s'était pourtant résigné, jusqu'à cette année. Et il sait, il sait qu'il est en train de retomber dans le panneau de cette relation qui n'a rien de simple ou de logique. Il sait qu'il est en train de faire une erreur de taille. Qu’il risque gros, et sans doute, s’il avait Brianna avec lui, chez lui, ne s’y tenterait-il même pas. Mais elle n’est pas là, et son cœur n’a jamais vraiment guéri de cette séparation imposée. Il ne peut pas s’empêcher de l’aimer, elle qu’il a toujours considéré comme la femme de sa vie, sa raison d’être. Depuis toujours, depuis qu’il est assez vieux pour prêter attention aux femmes. Depuis Poudlard, il sait. Il pense savoir. Et il a cru, un temps, que rien ne serait plus possible, qu’il faudrait vivre comme ça, triste et seul. Aujourd’hui, il sait que ce n’est plus le cas. Il n’a pas besoin d’être seul. Et s’il faut tous les tuer, alors, il le fera. Le jour venu il tuera Arthur Selwyn, et il fera suffisamment peur à Yaxley pour qu’il les laisse tranquille. Il sait qu’il est assez fort pour tuer le Mangemort. Il l’observe depuis suffisamment d’années, et d’assez prêt, pour savoir que le jour venu, il pourra le faire. Et s’il n’y parvient pas, il mourra sans regret. Mais les menaces du fou à l’encontre d’Elena, d’abord, puis de Brianna maintenant, sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Trop d’années passées à servir un monstre – s’il doit mourir en essayant de le tuer, perdre l’amour d’Elena pour la mort de son frère, alors tant pis. Mais au moins, il aura l’esprit tranquille.

Quand elle passe la porte, il a peur, un instant, que ce ne soit pas elle. Il est installé dans un fauteuil, dans le salon qui donne directement sur la porte d’entrée. Comme d’habitude, il fume. Il se redresse, lentement, en reconnaissant les traits fins de son visage. « Elle », il murmure, sans trop y croire. Deux fois en six mois, c’est plus qu’inespéré. Il s’approche, lentement, après avoir pris quelques secondes pour l’observer. Il ne sait pas vraiment comment agir, la seule chose qu’il sait, c’est à quel point il a envie de la serrer dans ses bras. « Tu es venue sans ennui ? » il demande, en toussant un peu pour reprendre contenance, pour lutter contre l’irascible envie de la prendre dans ses bras. Au lieu de ça, il dégage une mèche de ses cheveux, tombée devant son visage. « Je suis heureux de te voir ».

C’est peut-être la pire des folies. Le souffle est court et le myocarde s’agite en son sein alors qu’elle observe son mari endormi. Il a suffi de glisser quelques pilules moldues dans le verre d’alcool du soir. Ne pas utiliser de potions, jamais Corban ne songerait à un tel stratagème, il ne doit même pas connaître l’existence de ces merveilles blanches, indétectables à l’odeur et aux goûts, aussi efficaces qu’une dose de Sleeping Draught. Le manoir est empli du silence de la nuit, les elfes de maison se sont retirés, Aden dort paisiblement dans sa chambre d’enfant. C’est une très mauvaise idée. Ses doigts tremblent alors qu’elle boutonne son manteau sombre sur sa robe d’été. Elle hésite, plus pour la forme que par réelle peur. Au fond, elle sait déjà qu’elle ne fera pas marche arrière, malgré tous les risques encourus, malgré les conséquences désastreuses que cette escapade nocturne pourrait entraîner. Car en dépit de la peur et du doute, Elena ne s’est pas sentie aussi vivante que depuis le Nouvel An, à ses côtés. Elle ne s’est plus sentie aussi exaltée depuis qu’elle a quitté la chaleur de ses bras, alors que l’aube menaçait de percer le doux cocon d’illusion qu’ils s’étaient créés.

En quittant sa prison, le geôlier assoupi, l’enfant innocent, elle n’ose espérer qu’ils pourront avoir plus que cette soirée, ou ces quelques baisers volés. L’espoir ne faisait plus partie de sa vie, un monde sans terreur, sans Arthur, sans angoisse, Elena ne savait plus ce que c’était. Mais le revoir dans son bar, le sentir dans ses bras, goûter à une esquisse de ce qui aurait pu être … Elle en veut plus, a besoin de plus. Sa faiblesse a un nom, et ce nom est Kieran. Alors, elle passe le grand portail noir et fait disparaître d’un coup de baguette les protections du manoir. Une fois à l’extérieur, elle peut transplaner en toute sécurité. Pour retrouver sa jeunesse perdue, oubliée. La froideur apparente de ses iris glacées ne dissimule plus le battement passionné de son cœur trop longtemps alourdi, anesthésié. Une seule pensée la suit depuis décembre, une seule idée l’obsède depuis l’échange de lettres, depuis la proposition de Vesper. Un plan parfait, occuper le frère, endormir le mari, pour Le retrouver. Se retrouver. Elle se sait égoïste, prétentieuse. Elle cherche à tout avoir, son fils et l’amant, le confort et la passion. La liberté et la sécurité. L’amour est égoïste, la peur aussi. Et qu’est-ce qu’elle a peur, et qu’est-ce qu’elle l’aime.

Devant la porte, Elena marque un arrêt, ses doigts fuselés se resserrent autour de son manteau de nuit, frôlant au passage le collier chéri. Quelques inspirations profondes pour se donner le courage dont elle manque tant. Son menton se relève, et elle se tient droite devant la porte de l’appartement prêté. Elle va pour toquer – réflexe ridicule – se reprend, desserre le poing et entoure la poignée d’une main délicate. La porte s’ouvre, plus de retour en arrière possible, et il est là, comme toujours. Il l’attend une cigarette à la main, la fumée qui s’en échappe l’entoure d’une aura presque irréelle. Pourtant c’est bien lui debout qui lui fait face et qui s’approche, c’est bien sa voix qui prononce le surnom. « Kir. » elle répond, sans le savoir. Une timidité s’empare d’elle alors et elle n’ose le toucher, pas même le frôler. Par peur de se réveiller peut-être. Par perte de cette naïveté libératrice qu’elle ressentait avant quand tout semblait plus simple et plus beau. « Sans ennui. » Elle confirme, un léger sourire sur les lèvres. Deux petits pas pour avoir la seule chose qu’elle ait jamais voulu. Deux petits pas qu’elle n’effectue pas. A la place, Elena déboutonne son manteau, d’une lenteur exagérée, amplifiée par la maladresse inhabituelle de son doigté.

Cinq mots suffisent pourtant à faire imploser toutes ses résistances, toutes ses angoisses. Et sa main s’avance jusqu’à frôler la mâchoire volontaire, et se glisser jusqu’à la nuque de l’amant. « Tu m’as manqué. » Dans un souffle, et elle se retrouve contre lui, la tête posée contre l’épaule puissante de Kieran. Inspirant le doux musc de son corps, s’accrochant comme si sa vie en dépendait. Ce qui n’est pas tout à fait éloigné de la réalité. « Comment vas-tu ? Que me racontes-tu ? » Je veux entendre ta voix, talk to me. C’est bien lui, tout va bien se passer, Elena tente de se persuader. Se concentrer sur lui pour s’oublier elle et l’épée de Damoclès qui vacille au-dessus d’eux. Pour éloigner le pressentiment d’une fin fatale, mortelle. « On a tant de choses à faire et si peu de temps. » Elle chuchote plus pour elle que pour lui.  

C’est peut-être la pire des folies, mais c’est aussi la plus douce.