study hours / Severus

« Soixante douze, soixante treize, soixante quatorze… et vous vous arrêtez là. Surtout, c’est très important. Soixante-quatorze gouttes d’élixir de Mandragore, pas une de plus, pas une de moins, sinon vous pourriez avoir l’effet inverse à celui escompté ». Lily note sur son parchemin ce que la douce voix de Slughorn débite à grande vitesse, prenant soin de souligner les mots importants. Elle adore le cours de potions, n’allez pas croire qu’il en est autrement. Elle aime cette matière, et le Professeur aussi, elle l’apprécie. Seulement voilà, depuis quelques jours, elle se sent malade – un peu enrhumée, un peu fatiguée, imagine-t-elle simplement – et les soupes ou les potions de Madame Pomfrey n’ont pas encore fait effet pour l’aider à aller mieux. Alors ce cours, qui est le dernier de la journée et qui est supposé leur apprendre la confection d’une potion particulièrement complexe, la laisse un peu de marbre. Elle se sent loin, très loin de la salle de cours humide dans les fins fonds des cachots. Les Serpentards sont là, comme à leur habitude, partageant le cours avec les Gryffondors au grand désespoir de ces derniers. Elle continue d’écrire, patiemment, ignorant d’un côté les troublions de sa Maison qui s’amusent clairement à d’autres choses qu’à suivre le cours, et d’un autre côté les Serpentards qui leur jettent des œillades d’un air mauvais. Elle a hâte que ce cours ne prenne fin. Le mélange des maisons gâche un peu l’attachement que Lils porte aux potions, fatalement.

Quand la fin du cours arrive, Lils abandonne Emmeline, Mary et Marlene à leurs discussions et regroupe ses livres pour s’échapper vers la bibliothèque. Elle a de nombreuses recherches à faire pour un devoir de Défense Contre les Forces du Mal et elle n’a pas envie de traîner. Et puis, en fuyant vite la salle, elle espère aussi échapper à ce qui pourrait être une rencontre assez malheureuse avec Severus. Le temps passe depuis leur dispute, et ils ne se sont jamais vraiment adressé la parole à nouveau. Lily ne peut pas pardonner, elle n’y parvient pas. En fait, elle n’arrive même pas à essayer de lui pardonner. Elle trouve ça terriblement injuste. La déception lui serre encore le cœur quand elle repense à cette dispute vieille de plus d’un an.

Il ne lui faut pas longtemps pour gagner la bibliothèque, et elle file directement à la recherche des bouquins dont elle a besoin. Elle compte travailler ici, mais elle ne le fera qu’une fois les livres trouvés, histoire d’éviter les allers retours inutiles entre sa place et l’étalage de livres. Elle se perd un moment entre les rayons et les références, la fatigue ne l’aidant pas à être aussi efficace qu’elle le souhaiterait. Quand elle a les bras chargés de bouquins, elle retourne vers une place libre et s’installe, sans faire attention aux gens autour. Sort ses rouleaux de parchemin et sa plume, ses notes déjà prises sur le sujet qui leur a été imposé. Les sortilèges deviennent complexes, et la bonne pratique suppose une théorie parfaitement intégrée, Lily l’a bien compris au fur et à mesure des années. Elle ouvre les livres et commence à recopier ce qu’elle y trouve d’important pour son sujet. Il lui faut plusieurs minutes pour réaliser qu’elle se sent observer, et qu’elle n’est pas seule à la table. Elle relève les yeux et sursaute un peu lorsqu’elle se rend compte de sa compagnie. Il est là, assis quelques chaises plus loin. Ce n’est pas tellement qu’il la regarde avec assistance, plutôt des coups d’œil plus ou moins discrets. Le cœur de Lils se serre un peu et, dans un premier temps, elle se contente de baisser les yeux sur son livre pour continuer ce qu’elle est en train de faire. Mais elle ne peut pas vraiment, la présence de Severus la perturbe plus qu’elle ne veut le laisser paraître. Parce que ça fait plus d’un an maintenant qu’ils ne se sont plus adressés la parole, parce qu’il était son meilleur ami avant ça, et que clairement, le deuil a été difficile à faire. Parce qu’il l’inquiète, aussi. Elle ne lui souhaite pas de souffrance, elle aimerait profondément qu’il vive une vie apaisée et plus simple que celle vers laquelle il se dirige. Toutes ces choses qu’elle ne peut confier à personne, parce que personne ne comprend. Même Marlene trouve son amitié avec Sev, aussi révolue fut-elle, complètement absurde. Emmeline a clairement expliqué ce qu’elle en pensait, et le seul fait que Severus soit ami avec Mulciber justifie que la question ne soit pas abordée avec Mary. Personne ne comprend, et personne ne peut écouter, alors Lils se débrouille toute seule avec ses regrets et une certaine forme de tristesse qui ne la quitte pas vraiment.

Ce n’est pas la tristesse qu’elle veut montrer à Severus, cela dit. Elle n’est pas faible. C’est une femme forte et attachée à ses convictions. Il a dépassé les bornes en s’en prenant à elle, et elle sait se protéger toute seule. Elle n’a pas besoin que quelqu’un s’en charge pour elle. Cependant, Lily n’a pas vraiment à cœur d’ignorer purement et simplement les regards de Sev qui glissent vers elle. Elle referme le livre devant elle pour signifier son idée de quitter les lieux rapidement, et s’autorise un soupir. Ses yeux se posent à nouveau sur Severus, et croisent son regard qui lui semble objectivement toujours triste. Elle prend une inspiration, se laissant aller à la faiblesse – mais une faiblesse simplement apparente. « Ca fait longtemps que tu es là ? » demande-t-elle soudain, en glissant une jambe hors du banc pour se redresser. Elle ne va pas rester ici, à faire comme si de rien n’était. Elle n’aime pas l’idée. Elle ne lui souhaite pas de mal, mais elle ne voit pas bien ce qui pourrait changer entre eux, désormais. Les chemins qu’ils empruntent, chacun de leur côté, sont bien trop différents. « Je vais te laisser la place, je suis désolée, je pensais que c’était libre », lance-t-elle pour justifier son départ, sans trop savoir s’il était déjà installé là, avant elle, quand elle est venue s’asseoir, les bras chargés de bouquins.

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Le cours n’était pas ennuyant. Vraiment. Ils avaient de la chance d’avoir un professeur intéressant qui savait de quoi il parlait. Severus, cependant, ne pouvait trouver grande motivation à apprendre quelque chose qu’il connaissait déjà. Assis au fond de la salle, entouré d’élèves de sa maison, il griffonnait des choses sur son parchemin qui ne reprenaient en rien les astuces que le professeur souligne. Il était concentré, loin des égarements de ses camarades serpentards. Au milieu des autres, on aurait dit que Severus vivait dans une bulle à l’abri de toutes choses existantes. Hermétiques aux moqueries et aux paroles des siens. De temps en temps, il relevait la tête sans trop suivre ce qui se passait, entendait un terme ou deux, comprenait où la classe en était et retomber dans ses propres apprentissages. Il avait de la chance, Severus, d’avoir Mulciber à ses côtés. Il captivait l’attention à sa place, il créait un trou noir et aspirait tout ce qui pouvait le toucher lui. Un vrai bouclier de popularité. Utile jusqu’au bout. Il laissait donc le cours évolué sans que cela ne l’arrête dans ses propres ambitieux. Il trempait sa plume et écrivait d’une façon bien particulière d’ailleurs. Comme si c’était un secret, précieux, que personne ne devait lire. La manière dont il approchait son visage près du parchemin, dont il courbait son dos… heureusement pour lui, personne ne s'intéressait à ce qu’il faisait et une fois le cours fini, il se contente de tout ranger en silence. Il se met ensuite à suivre ses “amis” sans prononcer le moindre mot, se laissant pourtant guider par ses envies de solitude.

Comme toujours, il n’était qu’une ombre derrière la masse imposante des serpentards. Il ne se mettait pas en avant, lui. Cela ne lui servirait à rien. Après tout, son physique le desservait déjà bien assez. Pour peu, il pourrait croire qu’il y avait sur son dos une cible. Énorme, rouge et blanche, bien claquante. Prête à l’utilisation. Il n’était donc jamais contre le calme. Comme toujours, il collait les murs avec une discrétion presque fantomatique, trop heureux de passer inaperçu. Il profitait d’un couloir ou d’un escalier pour changer de direction et laissez la masse d’élève s’envoler plus loin. Un dernier regard sur les autres et le voilà qui accélère en direction de la bibliothèque.

S’il y avait bien une zone qu’il chérissait toujours dans cette école, c’était la bibliothèque. Véritable sanctuaire du savoir, Severus s’y sentait - par un certain miracle - à sa place. Après toutes ces années, il y découvrait toujours des mystères même si cela ne comblait pas ses aspirations ténébreuses. À l'inverse, c’était un peu devenu comme un jeu. Il lisait ce qu’il n’avait pas encore eu le temps de lire simplement pour se satisfaire lui-même. Pour pouvoir dire que lui, il avait presque tout lu. Bien entendu, ça ne serait pas possible tant l’endroit avait un large panel de choix et Severus tâchait de choisir des ouvrages assez imposants dont les détails pourraient potentiellement lui servir à l’avenir. Il se tournait souvent vers l’histoire, les légendes et les mythes. Pourquoi pas même les contes, avec un peu de fantaisie et un optimisme à toute épreuve. Les fins heureuses, il n’y croyait pas. Ils n’étaient beaux que couchés sur le papier, dans la réalité c’était impossible. Qui vraiment pouvait se satisfaire de la vie qu’il avait ? Qui pouvait être heureux malgré les accidents et les malheurs ? Les pertes et les peines ? Pas lui en tout cas. Pas Severus qui continuait de s’enfoncer plus bas chaque jour tant il semblait être un fardeau pour tous. Un fardeau pour lui-même aussi. Il n’y avait pas de lueur d’espoir dans son monde, plus depuis qu’il avait fait souffrir la seule personne qui comptait à ses yeux.

Et comme pour se moquer de lui, voilà que l’objet de ses pensées s’installe non loin, à une place vide. C’était comme si tout chez Lily possédait une classe sans failles. Chaque fois qu'elle bougeait, il avait l’impression qu’elle dansait avec délicatesse. Alors évidemment, oubliez sa capacité de concentration, face à elle, c’était comme si rien d'autre ne comptait. Il ne pouvait retenir ses yeux qui dansaient entre les pages de son livre et son amie plus loin. Il aurait dû s’asseoir, mais il s’était laissé faire par les écrits qu’il avait en main et n’avait pas eu le temps de trouver une place pour s’installer.

Mais Lily était-elle encore son amie ? Malgré ce qu’il lui avait dit ? Ce qu’il lui avait fait ? Voilà que son visage semble se ternir un peu plus alors qu’il continuait de regretter ce qu’il avait prononcé presque un an plus tôt. Un an… Un an de distance et de silence là où il avait besoin de l’entendre et de lui partager ses trouvailles les plus impressionnantes. Il ne parlait à personne comme il parlait avec elle, mais il s’était condamné lui-même. C’était irréparable, il le savait. L’insulte qui avait traversait ses lèvres n’étaient pas qu’une insulte. C’était une trahison. Parce qu’il s’était lui-même sentit trahit ses derniers temps par tous et surtout par elle. Quel con ! Tellement stupide de sa part, mais tellement significatif de sa fragilité. Il se dit que ce moment, le fait qu’ils soient ensemble sans vraiment l’être, c’est tout ce qui leur reste. Un semblant de relation, à des kilomètres de ce qu’ils avaient possédé autrefois. Il ne veut donc pas qu’elle parte, au contraire et lorsqu’elle ferme son livre, il se sent envahi par une immense tristesse. C’est à cause de lui. C’est de sa faute. Il ne peut pas s’attendre à plus. Il doit accepter si peu, mais cela ne l’empêche pas de se sentir mal. De vouloir plus aussi.

— Euh… Il panique. C’est bête, mais il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui parle et puisqu’il n’a pas de notion du temps il cherchait du regard quelque chose lui indiquant peut-être la réponse. Trop tard. Il est trop lent même. Lily est prête à partir.

— Non. Il se tait, une seconde, se rendant compte de la puissance de sa prise de parole.Je veux dire, non... c'est libre. Tu peux... rester ? L’intonation de sa voix change à la fin, transformant sa phrase en une faible question. Il aimerait qu’elle reste. Alors il puise dans le peu de connaissance en sociabilité qu’il possède et se lance dans un semblant de début de conversation.

— Qu’est-ce que tu lis ? Sa maladresse est évidente. Severus n’a jamais été doué pour s’approcher de qui que ce soit et aujourd’hui, il lui était d’autant plus difficile de l’approcher elle. Il l’avait blessé et chaque silence ne faisait que renforcer son acte. Mais peut-être que s’il faisait un effort, elle pourrait lui pardonner ? Comprendre qu’il ne le pensait pas… qu’il a simplement été stupide.

La vérité, c'est que Lily n'est pas prête. Elle ignore si elle le sera un jour, d'ailleurs. Prête à réamorcer la conversation entre eux, prête à répondre à ses questions banales, à entretenir une conversation. Ce qu'elle sait, avec certitude, c'est que rien ne sera plus jamais comme avant. Elle ne le verra plus jamais comme son meilleur ami, elle ne trouvera plus jamais près de lui une oreille attentive, ne se risquera plus à lui confier une partie de ses angoisses et de ses états d'âme. Severus l'a insultée de la plus grave des manières, et c'est déjà terrible en soi - mais il n'a rien arrangé en commençant à se faire de plus en plus ami avec ses camarades de Maison, ces futurs mangemorts en puissance qui l'assassinent du regard dans les couloirs. Elle en frissonne un peu, d'ailleurs, remettant un châle rouge et or sur ses épaules fatiguées. Elle voudrait fuir, à toute vitesse, ramasser ses affaires et s'échapper ; mais elle n'est plus une enfant. Elle est une jeune femme, et bientôt, il faudra qu'elle prenne sa vie en main, et qu'elle fasse des choix. Elle a déjà entendu parler des affaires extérieures de Dumbledore, de ces gens qui se battent contre les Forces du Mal. Et elle qui avait si peur, jusqu'à présent, de ne trouver nulle part où aller, est en train d'entrevoir son avenir de manière un peu plus lisible. Elle veut se battre - et sa bataille l'amènera sans aucun doute à s'opposer à des gens comme Severus.

Elle se demande ce qu'il devient. Ce qu'il pense d'elle. S'il a eu vent de rumeurs sur elle et Potter. Elle se demande toutes ces choses en se demandant aussi s'il est blessé, s'il regrette, s'il va bien. Elle ne peut pas s'en empêcher, ne parvient pas tout à fait à le détester malgré le passif. Malgré l'insulte prononcée froidement, avec une distance étrange, menaçante.

Pourquoi, d'aussi loin que Lily se souvienne, Severus n'avait jamais laissé penser qu'il pourrait un jour se montrer agressif envers elle. C'était même plus l'inverse. Il l'avait aidée, toute jeune, à comprendre ce qui lui arrivait, ce qu'elle avait entre les mains, pourquoi certaines choses se produisaient autour d'elle. Il l'avait aidée, ensuite, à comprendre Poudlard, à s'y faire une place, à s'y sentir chez elle. Ils avaient longtemps travaillé ensemble sur bon nombre de devoirs. Et puis, leur amitié lui était précieuse, et si elle s'entendait à merveilles avec les filles de son dortoir, il n'en restait pas moins que son meilleur ami était d'une autre maison et que dans son coeur à elle, ça n'avait pas la moindre importance.

Les gens n'avaient pas compris. Ni d'elle, ni de Snape, d'ailleurs. Pourquoi cette alliance étrange et contre-nature ? A une certaine époque, sans aucun doute, Lils s'était imaginée que leur amitié finirait par triompher sur tout le reste. Elle s'était imaginée qu'ils demeureraient inséparables. Peut être même qu'après Poudlard, ils auraient vécu autre chose. Une autre relation aurait peut être pu naître de cette amitié indéfectible.

Mais il n'y avait plus rien, aujourd'hui, d'indéfectible. L'idée même d'avoir été aussi naïve poussait Lils dans le désarroi le plus total, et même le recul des années ne l'autorisait pas à comprendre ce qu'il lui avait pris.

Contrairement à ce qu'elle aurait pensé, il lui insuffle l'idée de rester là, à sa place. Libre. Elle hésite un instant, prête à partir, les bouquins regroupés devant elle, mais elle n'a pas le coeur à être aussi cruelle, aussi froide. Alors elle se laisse complètement retomber contre sa chaise et soupire un peu. Très bien, elle va rester - ça ne veut pas dire qu'elle veut faire la conversation cependant. Au fond de son coeur, la colère de l'injustice continue de grogner. Comme si la dispute était fraiche, ne datait que de quelques jours. Son esprit s'offusque encore qu'il ait pu prononcer de tels mots. C'est dire si elle n'est pas prête de pardonner. « Un bouquin de Sortilèges pour le prochain cours », répond-elle simplement en haussant une épaule, lasse. « Simplement pour m'éclaircir les idées ». Sa voix est distance, écho des quelques mètres qui les séparent. Elle ne va pas faire comme si de rien n'était, elle ne va pas se lancer dans cette conversation absurde sur le passé, ni même demander des comptes. « Et toi ? T'es tout seul ? J'espère que Mulciber n'est pas dans les parages... » Oh, oui. Elle l'espère simplement. Parce qu'elle serait capable de perdre le contrôle en présence du futur mangemort, ami de Severus, qui a agressé Mary. De le perdre complètement.

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Il ne se souvenait même plus. Ni de la manière dont la conversation avait débuté, ni de pourquoi son sang avait bouilli de cette façon. C’était comme si sa mémoire n’avait conservé qu’une chose de ce moment : la déception dans le regard de Lily. Le changement radical d’émotion sur son visage. C’était comme si pendant une fraction de seconde, Lily aurait souhaité le voir disparaître tant tout ceci la dépassait. Il aurait aimé disparaître, lui, à ce moment-là. Le mot qui était sortie avait frappé la sorcière comme un sort impardonnable et Severus n’avaient rien fait pour éviter ça. Pire, il l’avait souhaité, il l’avait prononcé, lui-même de sang-mêlé. Lui-même cible ouverte à des propos similaires. Ce qu’il avait fait n’était pas justifiable, mais c’était qu’au fond, il voulait toucher Lily dangereusement. Désespérément. Il se noyait sous ses yeux et elle ne voyait rien. Les mots n’étaient pas les alliés de Severus et il ne parvenait jamais à réellement se confier à elle, surtout depuis que ses ambitions l'envoyaient vers un chemin qui s’éloignait de celui de son amie. Petit à petit, leurs entourages font même barrière et il passe de moins en moins de temps à contempler son visage. De moins en moins de temps a respiré le même air. Cette conclusion désastreuse lors de cette dispute était, en réalité, un cri. Alors lui qui, à ce moment-là, avait la sensation qu’elle ne le regardait plus depuis des mois, ne pouvait plus nier désormais ces yeux blessés qui le suivaient où qu’il aille. Une année presque s’était écoulé depuis ce fameux moment, une longue année et Lily ne lui parlait plus du tout. Pourtant, Snape avait l’impression qu’elle l’observait aujourd’hui plus que jamais, elle le garçon qui l’avait trahis. Ses yeux blessés le suivaient partout sans lui laisser le moindre répit. C’était sa culpabilité, sa punition.

L’ignorance avait un parfum familier pour Snape, mais quand cela concernait la sorcière, il était à chaque fois plus anéanti que jamais. Il saignait, profondément. Une nouvelle plaie apparaissait dès que son ombre frôlé la sienne, laissant son sang s’échapper dans la douleur la plus invisible.

En pouvant lui parler — ne serait-ce qu’échanger deux mots — Severus se sentait revivre. Comme un mort reprenant un dernier souffle. Un fantôme savourant le soleil pour la dernière fois. Il allait se saisir de cette rencontre inespérée pour le faire durer et le savourer. Lily ne se rendait pas compte à quel point sa présence était importante pour lui, mais comment lui pardonner après ce qu’il avait fait ? Comment lui pardonner alors qu’ils sont si proches d’être sur des rivages opposés ? Il connaît Lily, il sait. Elle a un coeur juste, une aura d'héroïne. Les forces du Mal l’attirent lui, pas elle. C’est comme si elle était immunisée contre la tentation des arts maléfiques. Mais elle n’y voyait que le mal, là où il voyait bien plus que ça. C’est ce qui lui fait peur. Demain. L’incertitude de leurs futurs. Severus essayait donc de ne pas y penser plus que ça pour éviter de se faire du mal tout seul — il n’avait clairement pas besoin de faire grand-chose pour s’autodétruire tant c’était inné chez lui.

Depuis qu’il a observé Lily dans les coins maudits de leur quartier, Severus s’est attaché à elle. Il était sans doute capable de la protéger contre toutes choses en ce monde. Mais de lui-même, en était-il capable ? Après ce qui s’était produit, il s’était rendu compte qu’il était lui aussi apte à la blesser, à lui faire du mal. Chose qui, soyons claire, le torture. S’il y avait bien quelqu’un qu’il voudrait rendre heureux, c’était elle. Ce qui l’amenait vers une autre conclusion : devait-il disparaître de sa vie pour qu’elle soit, justement, heureuse ? Devait-il accepter qu’un incapable comme James soit à ses côtés ? Tellement de questions, tellement peu d’envie d’entendre les vraies réponses. Debout devant celle qui représentait tout pour lui, Severus priait intérieurement qu’elle parvienne à s’asseoir de nouveau. Il n’allait pas être facile pour lui de faire la conversation, surtout depuis ce trou béant entre eux, mais Severus était prêt. Il ne pourrait jamais se pardonner lui-même pour ce qu’il avait fait, mais il devait essayer de trouver le pardon de Lily. Peut-être que cette situation la peinait autant que lui. Peut-être que tout n’était pas complètement perdu.

Curieux, il se focalise donc sur ce qu’ils faisaient souvent depuis des années : étudier ensemble. Alors il observe son livre de sortilèges et se souvient avoir exploré ses pages en quatrième année.

— Je suis certain qu’il n’y a rien que tu ne puisses maîtriser. Son regard jongle en elle-même, son livre et les livres qu’il a lui-même en main. Il finit par se rapprocher, posant la montagne sur la table. Des ouvrages sur des légendes galloises des différents siècles reprenant les anecdotes de grands sorciers, mais aussi un livre sur les archives d’un apothicaire italien du 14ème siècle contenant des informations sur des ingrédients rares et des potions oubliées parfois sans effet — classique placebo d’autrefois.

— Non, je… je suis seul. Il fronce les sourcils, regarde derrière lui comme pour vérifier ce qu’il raconte, puis s’assoit en face de Lily dans un mouvement des plus subtiles. Severus donnait parfois l’impression de glisser sur les choses qui l’entouraient comme un voile sombre et solitaire. Solitaire dans toute son entièreté. S'il y a bien un mot pour le décrire, c’est celui-ci et sans Lils c’était pire. Il n’était alors plus solitaire, mais isolé.

— James ne risque pas d'apparaître de nulle part, hein ? Il se tait. Parler de Mulciber, ce n’était pas une bonne chose. Parler de James non plus. Il baisse les yeux et prend l’un de ses livres au hasard, l’ouvrant à l’enver sans pourtant y faire attention. Chaque fois qu'il baisse la tête, ses cheveux camouflent une partie de son visage. Ce ne sera plus jamais comme avant. Marmonne-t-il dans son coin, jouant avec les pages de son livre dont il ne lisait absolument rien.

Il se rapproche, et Lily n'est pas sûre de comprendre pourquoi. Elle n'est pas rancunière d'habitude, elle parvient plutôt bien à gérer ses émotions et ses agacements. Elle a pardonné à Emmeline, après quelques semaines. Elle travaille sur elle-même pour devenir une femme bien, quelqu'un qui se bat pour ses valeurs, qui porte les couleurs de sa Maison. Mais la situation avec Severus est infiniment plus compliquée. Si elle pouvait s'attendre, il y a de ça des années, à ce que James fasse l'idiot, provoque futilement d'autres gens juste par goût du pouvoir, elle pensait que Severus était plus intelligent que ça et qu'il ne lui ferait jamais de mal. James a changé, évolué. Il est devenu meilleur, sans doute, pour elle en tout. Mais Severus a suivi une voie trop éloignée de ce à quoi aspire Lily, elle, la fille de moldus qui s'est retrouvée Sorcière sans trop savoir ce qui lui arrivait. Avec Severus, elle imaginait, en découvrant la guerre et les conflits, que la situation s'apaiserait parce que tous les Serpentards n'étaient pas capables de la même cruauté. Elle pensait sincèrement que le nombre d'esprits ouverts finirait par tuer dans l'oeuf la révolution qui gronde en dehors des murs de Poudlard. Les insultes de Severus ont tué tous ses espoirs, abattu ses rêveries, chassé son optimisme. Si même lui n'était pas capable de la préserver des violentes idées des disciples de Voldemort, qui le pourrait ?

« Tu as raison, oui », poursuit-elle, un peu grave. Si un Gryffondor l'aperçoit, il y a fort à parier qu'elle en entendra parler. Sans mentionner Potter, ou Black. Remus serait sans doute un peu plus tolérant - et encore. Ils la trouveraient tous idiote, idiote de ne faire ne serait-ce que discuter avec celui qui s'en est pris à sa naissance. Elle soupire, glisse une mèche de cheveux roux derrière son oreille et tourne les pages de son livre sans en lire le contenu. Elle voudrait s'en aller, mais elle est clouée à sa chaise sans savoir pourquoi. Elle voudrait crier, se fâcher, s'exprimer, mais des phrases banales sortent de sa bouche sans qu'elle ne puisse s'expliquer pourquoi.

« Je ne sais pas si James risque d'arriver », elle lance, en haussant une épaule. Elle ne sait pas ce que fait Potter de son après-midi, elle sait juste qu'il est généralement assez peu adepte de la bibliothèque. Elle sait aussi que s'il devait arriver, faire irruption, il viendrait immédiatement interrompre ce début de conversation et l'arracher à ce tête à tête à moitié imposé. Il la tirerait sans doute par le coude, et Lils comprendrait assez facilement pourquoi. Mais elle a choisi d'être là, James est occupé à d'autres choses, et elle est seule responsable de la conversation qui se tient. « Il a changé, tu sais », ajoute-t-elle, comme pour se justifier. Comme pour expliquer les rumeurs qui doivent courir dans son dos et qui sont totalement fondées, étant donné que oui, contre toute attente, contre le destin, contre les premières années et les premières disputes, elle a fini par s'ouvrir à Potter sous les yeux ébahis de leur promo. Et elle ne doute pas une seconde que ce soit venu aux oreilles de Severus. Sa remarque n'est d'ailleurs pas tout à fait innocente.

Elle soupire. A nouveau. Severus lui donne presque l'impression d'être en faute, pourtant, elle sait que ce n'est pas elle. Elle, elle a eu une réaction normale à une agression injuste. « Non, en effet. Plus jamais », elle répète en haussant une épaule. « Mais ce n'est pas de ma faute ». Elle se mord la lèvre, presque nerveuse, et joue avec le coin d'une page de son livre.

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Il fait un pas en avant, en espérant que le sol sous ses pieds n’allait pas s'effondrer sous le poids de sa culpabilité. Il avait conscience que la situation n’était pas en sa faveur, et cela, depuis des mois. Qu’il ne marchait qu’avec une prudence extrême, surtout lorsque Lily est dans les parages. Il a trop peur de tomber plus bas, même si à ses yeux, il était déjà au fond. C’était plus fort que lui. Son instinct lui criait de faire attention. De ne pas croire qu’elle l’invitait là, maintenant, à se faire pardonner. Se retrouver ainsi l’un en face de l’autre, n’était pas un appel du destin pour qu’il puisse améliorer ce qu’il avait brisé. Severus ne croyait pas en ces choses-là. Mais il avait foi en Lily. En ce qu’elle était. En ses valeurs et ses principes. En ses croyances et en sa gentillesse. Peut-être qu’un jour, elle allait lui tendre la main, mais ce n'était pas maintenant. Pas si vite, malgré le trou béant entre son insulte et cet instant. Pas si vite, malgré la distance qui semblait enfin disparaître. Ce n’était pas une victoire, ce n’était pas un miracle. Ce n’était qu’une minute comme une autre, car même s’il levait la main pour caresser son visage, il savait qu’il serait incapable de l’atteindre. Elle était inaccessible et c’était de sa faute. Il lui avait fait mal. Il avait laissé le mot qu’il ne fallait pas, s’attaquer à elle. Comme un sort qu’on lâche par colère, stupidement, et qui rebondit pour vous faire mal en plein visage. C’était tellement absurde de sa part de la traiter ainsi, pourtant cela lui avait échappé. Il avait déjà mal, alors pourquoi ne devait-elle pas avoir mal aussi ?

Parce qu’elle devait être protégé, non blessé. Parce qu'elle devait être aimée, non détestée. Parce qu’elle était Lily, l’âme qui faisait battre son coeur depuis trop longtemps pour être oublié. Là, tout de suite, elle lui manquait tellement. Terriblement, même. Il n’y avait personne comme elle, mais même elle ne le comprenait pas. Et c’était sans doute ça, le plus triste. Lui, il connaissait tout d’elle. De son histoire à ses désirs. De ses volontés à ses déceptions. D’ailleurs, il en était une, de déception. Mais Severus allait trouver un moyen. Une façon d’effacer ce qui ne pouvait l’être. Il allait se battre pour retrouver la seule lumière dans l’ombre géante que constituait sa vie.

Décidé à faire la conversation - même si c’était loin d’être le domaine dans lequel il était le plus doué - il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle allait se lever aux moindres faux pas pour le quitter. Et peut-être le quitter à jamais. Mais pour l’instant, elle était encore là. Assise, livre sous les yeux, belle comme toujours. Le doute planant sur James et une arrivée prochaine le met sur ses gardes. Lily ne sait pas tout ce que le gryffondor fait et peut-être que celui-ci ne la suit pas partout comme un abruti. Il aurait changé, d’après ce qu’il entend, mais il ne sait pas quoi répondre bien qu’un “pas avec moi” lui brûle la gorge. Il relève pourtant le regard, comme pour y chercher une erreur, une once de mensonge. Il sait très bien que Potter l’a séduite. Quel est tombé dans ses bras. Il ne la mérite tellement pas. Il ne mérite même pas de prononcer son nom. Pourtant, les choses étaient faites. La jeune femme était à lui. Mais elle n’était pas non plus un prix à gagner et ça, Severus le savait. Il ne s'était pas battu pour elle et peut-être aurait-il dû. Le seul problème, c’est qu’à ce moment-là, il s’était senti abandonné. Il y avait de l’amour en lui, oui. Pur et sincère. Lily l’avait mis en colère, et cela, sans qu’elle ne le remarque.

— Je sais. Cette fois, il est incapable de la quitter des yeux. Il est incapable de voir autre chose. Il n’y a qu’elle, elle et lui, au milieu des romans et des travaux de sorciers reconnus. Il n’y a qu’eux et ce vide qui ne veut pas disparaître et qui l’appelle. Rien ne parvient à excuser ce que j’ai fait et j’en suis... Tellement désolé. Mais il sait que ces excuses répétées ne servent à rien. Elles ne font que rappeler ce qu’il a commis. Ce n’est pas plaisant de l’entendre s’excuser et pourtant, il y met tout son coeur. Il espère qu’elle le voit quand même. D’une certaine façon, il n’est jamais parvenu à lui raconter. À lui montrer ce qui l’a poussé à agir comme ça. Et ce n’est pas son attirance pour les forces du mal ou ses relations superficielles avec ses camarades serpentards qui ont influencé son geste. C’était lui, tout simplement. Et elle, sans qu’elle ne le sache. Peut-il vraiment le dire ? Peut-il vraiment l’expliquer sans la crainte que tout ne s’aggrave davantage ?

— Penses-tu vraiment que ça ne sera plus jamais comme avant ? Il avait accentué sur “plus jamais”, tant cela réduisait à néant tous ses espoirs. Était-il réduit à n’être qu’un ennemi maintenant ? Qu’un adversaire pour plus tard, qu’un monstre à éradiquer ? Pensait-elle de lui ce que les autres avaient tendance à croire ? Où restait-il une porte entrouverte pour son âme désolée ? Elle était la plus précieuse de ses connaissances, mais qu’était-il lui pour elle ? Avait-il eu une place dans son estime ou alors s’était-il bercé d’illusions toutes ces années ? Les questions ne ralentissaient pas alors que Severus ne parvenait pas à dévier son regard. Il attendait. Il espérait. Un murmure lui disait de faire attention, car ils n’étaient pas seuls ici. Certains, sans doutes, s’étaient mis à les observer. Il en était persuadé. Il ne croyait pas populaire, mais Lily à sa manière, avait une aura envoûtante qui avait sans doute charmé les plus jeunes et les plus discrets. Tout le monde savait qui elle était. Impossible de passer à côté d’une telle force de la nature, d’une telle beauté. Lui, il était qu’une ombre suivant le soleil qu’elle était depuis toujours. Quoi qu'elle dise, il devait accepter.

Lily ne sait pas vraiment pourquoi elle n'a pas tourné les talons en apercevant Severus. Elle aurait pu prendre la décision de partir, de faire demi-tour. Elle aurait pu choisir de ne pas rester là. De ne pas subir cette conversation qui écharpe son coeur. Elle réalise, en même temps qu'elle discute avec Severus, qu'elle ne s'est toujours pas vraiment remise de la trahison qu'elle estime avoir subi. Oui, dans le coeur de Lily, Severus l'a trahie. Elle le pensait confident, proche confident, ami indéfectible, mais il a préféré choisir un autre bord, le bord de ceux qui lui veulent du mal. Le sous-entendu derrière les mots lui fait plus de peine encore que les mots eux-mêmes, sans aucun doute. Elle aimerait pouvoir pardonner, passer à autre chose, se dire que finalement, les mots sortis de la colère n'ont pas vraiment de résonance. Qu'elle n'est pas rancunière, qu'elle a oublié, avec le temps et les années. Dans un autre contexte, l'insulte de Severus n'aurait peut être pas eu la même importance. Dans un autre contexte, elle l'aurait peut être secoué pour lui dire de se taire, qu'il racontait n'importe quoi. Dans un autre contexte, Lily ne se sentirait peut être pas autant en colère tout le temps - mais ils ne sont pas dans un autre contexte. Leur seul contexte, en cet instant précis, c'est la vie, leurs vies. La réalité, dehors. La guerre à la fin de l'année, la vie en danger, la peur pour les proches, pour les autres, pour ceux qu'on aime. Elle ferme les yeux quelques instants pour reprendre la maîtrise de sa respiration et regarde ses mains liées quelques instants.

« Non, Severus. Plus ne sera jamais comme avant. Ce ne sont pas des choses,  ce ne sont pas des mots que l'on peut excuser, quand on est une fille comme moi», elle lâche, à regret. Elle aurait préféré la distance de ces dernières années. Tout plutôt que l'affrontement, la réalité pure et dure. L'abandon. Le deuil. Passer à autre chose. « Ce ne sont pas les mots,  tu sais ? Ce que tu as voulu dire ce jour là, c'est terrible. Mais dans une autre vie, j'aurais pu le pardonner. Seulement tu sais à quelle époque on vit, Severus, non ? Tu les connais, ces anciens serpentards, ces mangemorts dehors. Tu sais ce qu'il se passe, tu sais ce qui se trame. Tu aurais dû y songer avant de me lancer tout ça, ce jour là», elle complète. « Les vrais amis pensent à ce genre de choses ». Elle a conscience d'être difficile, amère sans doute. Mais elle ne peut pas vraiment s'empêcher de vider son sac, après toutes ces années. « Tu sais à quoi va ressembler ma vie dehors, Severus ? A cause de ceux qui se permettent de m'appeler Sang-de-Bourbe ? » elle l'interroge, tâchant de garder son calme pour ne pas se mettre à hurler sa frustration en plein milieu de la bibliothèque. Elle est en train de devenir injuste, elle le sait, mais elle peine à mettre fin au flot de mots qui quittent ses lèvres. « A une guerre. A un danger permanent. Je serai menacée à tout instant par des gens qui voudront ma peau simplement parce que je suis née dans une famille moldue. Et tu sais ce qui est le plus pitoyable, dans tout ça ? C'est que personne ne choisit de naître en étant moldu ou sorcier. Que fallait-il que je fasse, selon eux ? Que je renonce à aller à Poudlard ? Que je lutte ? Guess what, c'est impossible, et tu le sais, aussi bien qu'eux. Ces préceptes, ces idées toutes faites sur les choses ne sont qu'un prétexte vulgaire pour pouvoir nous tuer tranquillement. Pour pouvoir se raccrocher à quelque chose qui prend son sens pour les plus intolérants, ceux qui ont besoin d'un leader. Et je ne pensais pas que tu pouvais faire partie de ces gens là, ceux qui me voudront morte très bien. Qui me veulent surement déjà morte  », elle lâche, prenant son inspiration pour retrouver ses esprits. Elle se sent lasse, soudainement, infiniment fatiguée.

« C'est le poids des mots. Lancer des phrases comme ça, sans réfléchir à ce qu'elles impliquent, ce ne sont pas ce que font les vrais amis.» Elle hausse une épaule et joue avec le coin de son parchemin. « Alors non. Les choses ne seront plus jamais comme avant. Oh, j'aurais aimé pouvoir redevenir à ces temps anciens où j'étais encore naïve, mais tout ça m'a changé. C'était brutal, violent, mais ça me permet de prendre conscience de ce qui m'attend, deux ans plus tard. De me préparer aux perspectives de la guerre qui fait rage dehors et dans laquelle je vais me retrouver propulsée malgré moi, parce que les gens comme moi n'ont pas le luxe de pouvoir choisir leur camp. Ils n'ont même pas le luxe de pouvoir choisir la neutralité. Je te rappelle quand même que toi, tu as ce luxe, Severus. Il t'appartient de faire le bon choix, au nom de tous ceux qui n'en n'ont pas l'occasion».

Elle déglutit et détourne les yeux quelques secondes pour en dissimuler l'humidité.

study hours

Ils vivaient dans un monde magique. Un monde où l’impossible pouvait être réalisé. Un monde où les limites pouvaient être changées. Severus le premier l’avait compris à la seconde où ses dons étaient apparus. Tout s’était transformé. Comme si les plus déprimants sentiments étaient devenus de l’espoir. Il avait un pouvoir, un pouvoir que tout le monde ne possédait pas. Un pouvoir qu’il pouvait maîtriser. Il avait passé ses six dernières années à s’ouvrir à toutes choses, persuadé que la moindre information aurait son utilité à l’avenir. Il apprenait, conservé, étudié tout et parfois rien. Il se forçait, comme si sa soif était infinie. La magie n’était pas facile à comprendre, mais lui l’apercevait comme une mélodie. Une fois les paroles parfaitement acquises, il n’y avait rien de plus simple. Rien de plus aisé. C’était peut-être pour ça qu’il était si doué, c’était son regard qui lui donnait de l’avance par rapport aux autres. Sa simplicité. Sa dévotion, aussi. Ce besoin de tout découvrir était lié à celui de tout réaliser. D’être parfait quels que soient les domaines. Mais il y avait un secteur dans lequel il était loin d’être à la hauteur. Severus n’était pas un être social. Probablement, qu’il ne serait jamais. Se lier d’amitié, croire en un autre, confier ses rêves à des visages qui pouvaient disparaître, cela lui avait toujours semblait futile, mais surtout, illusoire. Lily avait été son exception. La seule à qui il était parvenu à s’ouvrir, la seule qui l’avait sans doute entendu rire. Elle lui avait prouvé que le sang ne faisait pas tout, qu’une relation forte pouvait entre deux personnes complètement différentes et qu’avait-il fait pour chérir ce lien ? Il l’avait détruit. Réduit en miettes à travers des mots si facilement prononcés dans la colère.

Il s’en voulait encore, appuyant sur son propre cœur en espérant y retirer la haine qui s’était accroché. La croiser aujourd’hui n’était rien d’inhabituel, lui parler en revanche. S’asseoir en face d’elle, l’observer et l’entendre… c’était peut-être le début d’un long chemin vers la réconciliation. Parce qu’il la chérissait trop pour la voir disparaître de sa vie, tout comme il savait que les chances n’étaient pas de son côté. La trahison était le plus douloureux des actes. Peut-être bien qu’elle ne lui pardonnera jamais…

S’excuser, c’était un premier pas. Mais son doute était-il trop en retard. Sans doute, aurait-il dû se la fermer plutôt que de l’insulter de cette manière. Assis dans la bibliothèque, il percevait parfaitement la route qu’ils prendraient chacun. Si loin l’une de l’autre. Il avait envie de la saisir pour ne jamais la lâcher, mais se contenta d’une question en priant pour réponse positive. Plus rien ne sera jamais comme avant. Il se sentait idiot maintenant, d’avoir dit ça. Il n’a plus douze ans, il en a dix-sept. Dix-sept ans et bientôt diplômé. Dix-sept ans et bientôt un être des ténèbres. Il baissa les yeux alors que sa douce Lily repris amèrement ses mots. La colère était toujours aussi vive, aussi puissante, que ce jour-là. Elle aurait pu lui arracher le cœur que cela aurait eu le même effet. Peut-être aurait-il dû rester au loin, comme toujours. Peut-être… mais la fin de l’année approchait. Et avec cette fin, la possibilité de ne plus la revoir. De ne plus avoir la chance de se faire pardonner. Il pensait qu’elle s’arrêterait là. Que le silence retomberait et qu’il devrait partir, mais non. Lily était prête à tout lui balancer aujourd’hui. À lui reprocher ses fréquentations, son futur, l’ombre du serpent qui planait sur son bras. Plus que l’insulte, c’était ce qu’il allait devenir qu’elle lui reprochait. Pris de court, il ne sait pas quoi dire. Il ne pouvait pas la reprendre, ça serait irrespectueux et de toute manière, que pouvait-il dire en sa faveur ? Rien. Elle avait raison. Elle a tellement raison qu’il ne réussit même pas à répondre à sa question, ouvrant sa bouche pour mieux la fermer.


Elle le frappait par la parole, à coup de vérité. Elle voulait qu’il ouvre les yeux, mais ils étaient déjà ouverts. Il savait. C’était ça le pire. Il savait parfaitement la vie difficile qui allait lui tomber dessus et, quelque part, il avait participé à ça. Il avait choisi un chemin où il devrait suivre des personnes odieuses, détestables, des personnes qui se feraient une joie de la tuer, elle. Il ne pouvait plus la regarder dans les yeux maintenant, plus jamais. Il s’en rendait compte. Tout comme il avait l’impression qu’elle ne comprenait pas, elle aussi. Ni pourquoi, ni comment. Ni la peine, ni la haine. Parce que lui aussi, était capable de haine, mais pas envers elle. Jamais envers elle. Pourtant, le manque et la jalousie l’avaient poussé à bout. Et sa soif de savoir le rendait aveugle quant à cette guerre qui faisait rage. Elle était inévitable, oui.

— Je n’ai pas réfléchi quand… Il se mord la lèvre, observant les autres étudiants, si confortablement assis dans leurs petits mondes. À ce moment-là, je n’avais songé à rien, pardonne-moi. Il s’excuse encore, mais sans doute ses mots se sont noyés dans sa gorge serrée. Son pardonne-moi était si faible qu’il ne ressemblait même pas à un murmure. En voulant remettre en place l’une de ses mèches de cheveux, il se rendit compte que son corps tout entier tremblait. Il était si faible… si effrayé par la perte. Si effrayé de la perdre, elle.

— Je peux… je peux te protéger. Il osa poser de nouveau son regard désolé sur elle. Il aurait aimé lui dire que les vrais amis se pardonnent toujours, qu’ils cherchent à comprendre, qu’ils se soutiennent quoi qu’il arrive, mais non. Il n’avait rien à dire, car il ne pouvait qu’accepter ses raisons. Il ne pouvait que baisser la tête et prendre sur lui l’amitié qu’il avait détruite. Il n’y aura pas de seconde chance. Quoi qu’il arrive, je ne t’abandonnerais pas. Elle pouvait tourner la page, l’ignorer, le maudire pour avoir choisi un camp plutôt qu’un autre, pour avoir été égoïste, pour être le sorcier qu’il était. Elle pouvait. Mais lui n’accepterait jamais de faire une croix sur qui elle était, sur qui elle serait toujours à ses yeux. Que la guerre fasse rage, lui ne pourra pas l’arrêter. En revanche pour elle, il sera prêt à faire les sacrifices nécessaires.