it's all coming back to me now | Hestia

Fabian relis le hibou d'Hestia encore et encore. Il ne sait pas quoi penser de ce message qu'il voudrait traiter comme un code incompréhensible qu'il se devrait de déchiffrer. Il sait qu'il ne doit rien attendre de ce retour, et pourtant, il a bien du mal à rester calme devant ce petit bout de parchemin pourtant inoffensif en théorie. Il sait très bien ce que Gideon en dirait, et c'est d'ailleurs pour cela qu'il a rangé la lettre dans un tiroir du bureau, avec l'intention délibérée de lui cacher la nouvelle pour l'instant. Étant donné l'état déplorable de l'appartement, nul doute que son jumeau serait incapable de dénicher un objet volontairement mis à l'écart de ses yeux curieux.

Aussi anxieux que possible, le Gryffondor prend son manteau pour rejoindre le café où son ancienne fiancé lui a donné rendez-vous. Quoi que rendez-vous n'est pas forcément le terme le plus approprié en réalité. Fabian, tente de ne pas intellectualiser la chose et ouvre un bouton de sa chemise histoire de respirer un peu. Il ne devrait pas être aussi nerveux, et pourtant le dire ne change pas grand chose à la donne. Conscient qu'il serait tout de même préférable de transplaner en un seul morceau, Fabian ferme les yeux pour se concentrer, et prend une inspiration. Lorsqu'il ouvre les yeux, il a transplané dans une ruelle déserte. Marchant tranquillement vers le point de rendez vous qui se trouve être un café moldu sans prétention, il en profite également pour se vider la tête.

Trois ans se sont écoulés depuis leur rupture déchirante, la voir assise à cette table comme autrefois lui déclenche évidemment un pincement au cœur. S'asseyant en face d'elle, il décroche alors un bonjour maladroit qui fait déjà bien état du malaise qu'il ressent. « Hey... » Loin de savoir comment entamer cette conversation, il se contente alors de banalités. Le rempart à toutes les situations angoissantes, on dirait. Et en l'occurrence des condoléances semblent appropriées. « Je suis désolé pour ta mère. J'ai appris ça il y a quelques jours. » Fabian s'est toujours bien entendu avec les parents d'Hestia, eux aussi auraient sans doute préféré qu'elle reste à Londres et qu'elle s'en tienne à ses plans de départ finalement. « Comme je te l'ai dit dans mon hibou, je t'accompagnerai aux obsèques. Je l'aimais beaucoup. », précise t-il d'un regard doux.

Je n’avais pas été aussi angoissée depuis… enfin depuis longtemps. Je n’avais de cesse de tripoter mes bagues à l’annulaire gauche, ne trouvant rien de plus intelligent à faire pour me distraire. Longue avait été mon hésitation à envoyer un mot à Fabian, pour le prévenir que je revenais à Londres. Parce que durant trois années, j’avais espéré pouvoir le revoir un jour. Un jour où nos cœurs se seraient remis (ou presque) d’une séparation douloureuse. Mon hibou s’était impatienté, tandis que je décidais de lui donner rendez-vous dans ce café moldu assez sympathique, et à l’abri des regards indiscrets. Finalement, je m’étais résolue à le lui envoyer. Fabian, plus que quiconque, méritait de savoir que je revenais vivre en Angleterre, au moins pour quelques mois. Avant d’être un ex-fiancé, il était avant tout un ami fidèle et un confident. Et il me manquait. De plus, je n’étais pas une gamine de dix-sept ans, incapable de gérer ses sentiments. Certes, nous avions un certain bagage émotionnel derrière nous. J’avais un choix et nous en avions tous les deux subis les conséquences. Cependant, cela ne devait pas nous empêcher de recoller les morceaux de notre relation.

Tout du moins, si lui le souhaitait. J’avais envoyé le mot, sans attendre de réponse de sa part. Recevoir un hibou de retour avait réussi à me rassurer un peu (pas pour longtemps). Installée depuis une heure dans le café moldu de peur d’être en retard, j’étais particulièrement nerveuse. Je n’avais touché ni au verre d’eau, ni à la tasse d’un thé qui avait fini par refroidir. Sans m’en rendre compte, je me mordillais la lèvre inférieure, une habitude que je pensais oubliée dans les méandres de mes années Poudlard. Et s’il décidait de ne pas venir ? Et s’il en était venu à me détester, après toutes ses années ? Toutes ces questions n’avaient de cesse de me tourmenter, et j’avais l’impression qu’il se passa une éternité lorsqu’une silhouette familière poussa la porte de l’établissement. Il était venu. Fabian avait répondu à mon invitation.

Pour éviter qu’il ne remarque à quel point j’étais nerveuse, je dissimulais mes mains légèrement tremblantes sous la table. Quoique, était-ce réellement utile ? Quand bien même je tentais de sauver les apparences, Fabian ne me connaissait que trop bien. Je tentais de lui adresser un mince sourire, alors qu’il s’asseyait en face de moi. Le plus important était que je n’oublie pas de respirer et que ma voix ne tremble pas si j’arrive à en placer une dans la conversation. « Salut » répondais-je à mi-voix, la gorge soudainement particulièrement sèche. Je n’osais cependant pas prendre une gorgée d’eau, puisque j’étais presque certaine que j’allais m’étouffer devant lui (et mourir).

Fabian me présenta ses condoléances, et réitéra sa volonté de m’accompagner aux obsèques de ma mère « Je… merci Fabian, ça me touche vraiment » dis-je faiblement en osant finalement les yeux pour croiser ceux du gryffondor. Jamais je ne pourrais exprimer la gratitude que je ressentais envers lui à cet instant. J’espérais au moins que mon regard puisse justifier de ma sincérité. « Ma mère t’appréciait énormément, et… ». Pour mes parents, Fabian avait toujours été le choix numéro un ; il aurait dû devenir leur gendre, si leur fille unique n'avait pas décidé de prendre une décision purement égoïste. Je respirais profondément, afin d'éviter de fondre en larmes devant lui. La perte de ma mère était encore trop vive dans mon esprit pour que je puisse continuer à parler d'elle. Même penser à elle me faisait souffrir. « J’avoue que t’avoir à mes côtés ne serait pas de refus » ajoutais-je avec un triste sourire. « Tu m'as manqué Fabian ». Et voilà, j'avais fini par mettre les pieds dans le plat. Même si c'était la vérité, peut-être n'étais-ce pas le meilleur moyen de m'exprimer. Avais-je seulement le droit de lui dire qu'il m'avait manqué ?

Je détournais le regard, bien trop gênée pour affronter Fab. « Est-ce que tu veux boire quelque chose ? » proposais-je très subtilement afin de changer de sujet, en sortant enfin mes mains de leur cachette pour les poser sur la table.

Malgré la difficulté de la conversation, il est facile de constater que la mort de la mère d'Hestia n'est pas la seule source de malaise dans cette rencontre. Ils se connaissent depuis tellement d'années, qu'il serait bien impossible pour eux d'ignorer les signes de nervosité de l'un et de l'autre. Fab sait que ce n'est pas évident pour Hestia de rentrer, en dehors de l'enterrement auquel il va bien entendu l'accompagner. De l'eau a coulé sous les ponts, et si pour Fabian, l'abandon reste difficile à avaler, il n'a pas vraiment le courage de jouer les égos blessés alors que son amie a besoin de lui. Gideon n'approuverait pas, il le sait pertinemment, mais puisqu'il n'est pas là pour le juger, Fabian profite de ces quelques instants de répit dont il dispose encore pour prendre des nouvelles d'Hestia, à qui il n'arriverait pas vraiment à en vouloir, même en faisant un effort. Dans le fond, il ne peut pas vraiment lui reprocher d'être partie, ce serait la chose censée à faire pour beaucoup de gens, même si pour Fabian, l'idée n'est pas envisageable. Contrairement à Ted, il n'a pas d'enfant, plutôt un frère qui n'a rien a perdre non plus, il fait donc naturellement partie de ces gens qui se doivent d'essayer de résister, au moins pour tous ceux qui ont beaucoup trop à perdre dans la lutte.

Lorsqu'elle parle de sa mère, et du fait qu'il lui ait manqué, Fabian ne peux pas s'empêcher d'avoir un nouveau pincement au cœur. Évidemment qu'ils allaient remuer le passé, même si il ne comptent en aucun cas le changer, c'était inévitable. Fabian, lui jette donc un regard un peu douloureux, avant de tenter d'y remédier par un sourire sincère. « Toi aussi. Mais j'imagine que les choses sont beaucoup moins compliquées, là bas, à Chicago. », moins compliquées en partie parce qu'ils n'ont pas eu à se revoir pendant ces trois dernières années, ce qui a sûrement facilité le deuil de relation. A dire vrai, Fabian n'en sait pas grand chose, le deuil n'est pas forcément derrière lui d'ailleurs. Tout ce qu'il voit, c'est qu'elle aussi nerveuse que lui, ce qui le rassurerait presque. « Ne sois pas si nerveuse, on dirait moi » Fabian plaisante, elle le connaît effectivement nerveux quelque fois, ce jour ci ne fait pas exception. « On est derrière tout ça, il n'y a pas de raison d'être mal à l'aise pas vrai ? », Fabian sourit tendrement amusé, il y a toutes les raisons du monde d'être mal à l'aise, mais ils trouveront bien une façon de surmonter ça. Peut être que la première étape, c'est d'en plaisanter justement. « Je vais commander une bière. » , une valeur sûre.

Je me sentie particulièrement désemparée devant le regard de Fabian, même s’il tenta tant bien que mal de se rattraper en m’adressant un sourire. Bien entendu, il était impossible d’effacer le passé, et à vrai dire, je présumais que ni lui, ni moi, ne le souhaitions. C’était bien pour cela qu’il avait été le premier que j’avais souhaité revoir en revenant en terre anglaise. Car malgré tout ce que nous avions traversé ensemble (et parce que nous l’avions traversé ensemble), Fabian restait l’une des personnes les plus importantes de ma vie. Alors l’entendre dire que moi aussi, je lui avais manqué, me rassura et me conforta un peu plus dans l’idée que notre relation, amicalement parlant bien évidemment, avait encore un avenir. « La vie à Chicago est… différente de celle que j’avais ici. Moins compliquée ? Oui, probablement » confirmais-je. À mes yeux, les deux n’étaient vraiment pas comparables. Mais il était vrai que la vie américaine me paraissait plus simple sur certains aspects que la vie en Angleterre ; et fort heureusement d’ailleurs, puisque c’était la principale raison qui m’avait poussée à partir, en abandonnant tout et tout le monde derrière moi.

Fabian m’arracha un petit rire discret, me comparant à lui lorsqu’il était nerveux. Et il faut dire qu’il n’avait pas tort. Je n’avais pas pour habitude d’être aussi ouvertement troublée, au point que mes mains puissent en trembler. J’étirais mes lèvres en un sourire radieux, le premier depuis longtemps me semblait-il. « Tu as raison. Il ne faudrait pas que je te vole ton rôle » répondais-je également sur le ton de la plaisanterie. Il avait également raison sur un autre point : tout était derrière nous, et il ne nous restait plus qu’à m’ajuster à cette réalité qui était devenue la notre. J’espérais peut-être qu’en renouant avec Fabian de manière régulière, j’en viendrais éventuellement un jour à délaisser cette culpabilité que je trainais depuis toutes ces années.

Après ma proposition, le choix du jeune homme s’arrêta sur une bière. « Très étonnant venant de ta part » fis-je remarquer avec un mince sourire. En vérité, rien d’étonnant : les frères Prewett avaient la réputation d’être des chaudrons sans fond dès qu’il s’agissait d’alcool. Si je pouvais, je l’aurais suivi volontiers ! Une bière m’aurait fait tellement de bien en cette occasion. C’était sans compter le petit être de presque trois mois qui grandissait dans mon ventre, et qui n’apprécierait sans doute pas que je l’initie aux pintes avant l’heure. D’un geste de la main, j’appelais l’une des serveuses du café pour commander. « Une bière et un verre d’eau gazeuse s’il-vous-plaît ». J’espérais silencieusement que mon choix de boisson ne suscite pas (trop) la curiosité de Fabian, car ce n’était pas une nouvelle que je souhaitais partager avec lui dans l’immédiat.

« Alors, qu’est-ce que tu deviens ? » osais-je m’enquérir avec curiosité. Durant ces trois années loin de Londres, il m’était arrivé de recevoir quelques bribes d’information le concernant, mais jamais rien de détaillé. Peut-être parce qu’il était évident que je n’étais pas prête à avoir de telles informations. Mais assise ainsi devant Fabian, j’avais envie qu’il me dévoile un peu de sa vie. Je voulais savoir si lui aussi avait réussi à aller de l’avant dans une certaine mesure.

Évidemment que sa vie est moins compliquée à Chicago. La réponse ne le surprend pas. La situation peut difficilement être pire qu'elle ne l'est ici au Royaume-Uni. Le fait même qu'elle revienne uniquement pour la mort d'un proche, ne fait probablement qu'augmenter l'aura de négativité que dégage l'île de son enfance. Fabian comprend tout à fait, mais si il s'est révolté au début. Ils avaient des projets, il avait un frère qui avait besoin de lui, et qui avait décidé de se battre. Il aurait pu partir avec elle, oui, mais ça aurait été agir en contradiction totale avec sa nature de Gryffondor finalement. Il y avait tout un tas de bonnes raisons pour expliquer qu'elle était partie et qu'il avait décidé de rester, mais les contredire maintenant n'aurait aucun sens. Si une chose est sûre, c'est qu'il ne sert pas à grand chose de critiquer quelqu'un pour avoir fait un choix difficile. Et si Hestia n'a pas blâmé ouvertement Fabian à l'époque, le Gryffondor ne s'est pas risqué à l'inverse non plus. Les choses sont ce qu'elles sont, et ils sont suffisamment matures pour comprendre une décision sans la remettre en question. Si remise en question il y a, elle doit venir d'eux, personne n'a le droit de le faire à leur place. « Je ne suis pas si terrible que ça, je m'améliore. » Il proteste un peu, en pensant au passé. Il est évident que la guerre, lui a fait prendre confiance en lui sur bien des points. Si il se sent toujours vulnérable devant Hestia, c'est pour une toute autre raison.

Il laisse donc Hestia commander, sans commenter son choix de boisson, peut être que Mr Jones, lui a fait passer la mauvaise habitude de boire des pintes en plein milieu de l'après-midi comme le font les britanniques sauvages lâchés dans un pub. Fabian sourit en se remémorant quelques uns de ses après-midi en compagnie de leurs amis. Ils finissaient toujours par parler politique et se lancer dans des débats dictés par l'alcool qui coulait à flot sur le comtoir. Il n'aurait jamais pensé à l'époque, qu'Hestia finirait par choisir de partir pour se donner une chance. Et lorsqu'elle lui demande ce qu'il devient, il hausse une épaule. « Oh tu sais pas grand chose, le même médicomage à l'atelier louche, qui aime un peu trop la bière, et qui essaye de motiver les gens à résister, même si il n'y a pas beaucoup d'espoir, ce qui devrait me faire tuer d'ici un an ou deux si je continue d'en parler publiquement comme ça. » Gryffondor un jour, Gryffondor toujours. Fabian plaisante évidemment, inconscient encore du destin qui l'attend inévitablement.

Il me semblait retrouver peu à peu l’atmosphère amicale et enjouée d’autrefois. Inconsciemment, cela me permettait de me détendre chaque seconde un peu plus, en relâchant mes épaules tendues et ce nœud au fond de mes entrailles disparaissait au fur et à mesure que Fabian ouvrait la bouche. Finalement, il n’avait pas si tort que cela en affirmant qu’il s’améliorait. Bien évidemment qu’il avait dû changé en trois ans, mais pas tellement apparemment, vu ce qu’il me racontait sur la vie quotidienne qu’il menait en Angleterre : son travail en tant que médicomage, la bière (encore et toujours).

Mon sourire disparut bien rapidement lorsqu’il aborda un sujet assez sensible ; celui qui m’avait fait quitter le pays en réalité. J’étais résolument troublée par l’optimisme de Fabian devant cette situation. Au fond, ce n’était pas si étonnant, puisqu’il avait décidé de rester à Londres exactement pour cette raison. Toutefois, l’inquiétude eut raison de moi et je me mordillais la lèvre inférieure à nouveau. « J’espère… que tu fais attention à toi… » répondais-je d’une voix emprunte de l’angoisse que j’éprouvais intérieurement. « Ce n’est pas parce que tu as été un Gryffondor que tu dois te sentir obligé de sauver le monde. En tant que médicomage, tu aides déjà beaucoup de personnes. » Tu n’as pas besoin de te mettre en danger inutilement, allais-je ajouter ; mais le faire conduirait à raviver un vieux débat et rouvrir de vieilles blessures. Un sujet qu’il était préférable de laisser sous le tapis, sans le mentionner à nouveau ouvertement. Du moins pas pour l’instant.

À ce moment-là, la serveuse nous interrompit en apportant la commande. Je préférais attendre qu’elle s’éloigne avant de reprendre la conversation. Je n’osais pas poser la question fatidique, quand bien même la situation s’y prêtait. Fabian avait-il rejoint les rang de ceux qui résistaient fièrement aux Mangemorts ? Je pensais bien évidemment à l’Ordre du Phoenix. Fabian pouvait bien motiver les gens à résister, mais sans en faire partie. N’est-ce pas ? Non, il n’avait pas pu les rejoindre… Je passais ma question sous silence. Je ne voulais pas savoir pour le moment. J’eus soudainement un haut-le-cœur. Me connaissant, j’étais sûrement devenue blanche comme un linge. Je ne pouvais pas affirmer avec certitude quelle en était la raison ; si c’était à cause de l’éventualité que Fabian appartienne à l’Ordre ou bien simplement à cause de l’odeur de la bière qui était remontée jusqu’à mes narines. Quelqu’il en était, je décidais d’avaler quelques gorgées d’eau gazeuse, dans l’espoir que ce désagrément s’estompe de lui-même. Mais je me sentais toujours aussi mal.

J’enchaînais tout de même, malgré mes tourments intérieurs. « J’imagine que je n’ai pas à te le dire. Tu es sûrement bien plus habitué à cette situation que je ne le suis ; je m’en fais pour un rien. » Ou peut-être bien que je refusais d'affronter la réalité pour l'instant, afin de ne pas perturber nos retrouvailles.

Fabian pouffe légèrement de rire lorsqu'elle lui demande si il fait attention à lui, et une certaine tendresse se cache à peine derrière cette moquerie. Elle mieux que n'importe qui, sait qu'il ne fait pas partie des gens qui font très attention à ce genre de choses. C'est un Gryffondor, et si son frère est, en tout état de cause, bien pire que lui, il n'en reste pas moins le revers d'une même pièce. Fabian n'est pas resté ici à Londres pour se cacher de ses convictions et de ses envies de justice. Si il avait eu un semblant d'instinct de conservation, alors il aurait accompagné Hestia aux Etats-Unis, privilégiant sa propre sécurité, et celle de la famille qu'il voulait fonder, sur celles de ses proches et son envie de survivre à cette guerre. Mais non Fabian prend des risques, et Hestia le sait très bien, c'est pour cela qu'ils se sont quittés finalement. Son argument sur son travail, il l'a entendu des tas de fois, par son frère, par à peu près tous les membres de l'ordre qui ont voulu le dissuader de s'investir, avant de comprendre qu'on ne lui délogerait pas l'idée de la tête  quoi qu'il advienne. « C'est exactement pour cela que je me dois de sauver le monde, question d'honneur. » Il plaisante, sachant très bien que ce n'est pas vraiment ce qu'elle veut entendre. « Et puis tu sais, je n'aide pas que les bonnes personnes Hestia. Il n'est pas rare que je me retrouve à panser les blessures d'un mangemort. On doit soigner tout le monde à St Mangouste, et je me dois de garder mes suspicions pour moi. Tu connais la chanson, innocent tant qu'on a pas prouvé qu'il est coupable, that kind of bullshit. » Et c'est sans doute la partie la plus compliquée de son travail.

Il n'y a rien qu'il puisse y faire cependant, et sa situation financière n'est pas suffisamment stable pour s'offrir le luxe de travailler pour l'ordre à temps plein comme certain le font. Alors comme tout le monde, il doit vivre avec la terrible injustice de pouvoir nommer une bonne vingtaine de mangemorts, sans toutefois être autorisé à diffamer sur leur compte. « Tu verras qu'il est bien plus difficile de rester neutre face à ça tout ça, qu'auparavant. Si personne ne fait rien, le ministère tombera sous le joug de Voldemort, et il sera un peu trop tard pour pleurer notre liberté piétinée. » Fabian ajoute avant de reprendre plus convaincu que jamais. « Je n'ai plus grand chose à perdre de toute façon, autant faire ce qui me semble juste. », précise t-il, sans doute un peu amer, même si il prend toutes les précautions du monde pour ne pas reprocher à Hestia leur rupture. Il ne peut pas regretter son engagement au sein de l'ordre en revanche, c'était la seule chose à faire.

C’était peine perdue de parler à un Gryffondor de prudence ou de précautions à prendre. Le Choixpeau avait sûrement effacé ces mots du cerveau lors de la Répartition, d’où le penchant prononcé des Gryffondors en général pour le danger et pour jouer les sauveurs. Je levais les yeux aux ciels, mi-agacée, mi-amusée par la réponse du jeune homme. Je savais mieux que personne à quel point Fabian pouvait être borné lorsqu’il le voulait (ou lorsqu’il ne voulait pas), et c’était peine perdue que je lui fasse part de mes inquiétudes. Il ne faisait pas exprès; il était simplement comme ça et rien n’était susceptible de le faire dévier du chemin sur lequel il s’était engagé. Si je n’étais définitivement pas aussi impliquée que lui, je ne pus ressentir que de l’indignation en apprenant que Fabian devait prodiguer des soins à des Mangemorts dans le cadre de son travail. « Comment ça, tu dois les soigner ? I can't believe this ! » m’exclamais-je, complètement offusquée d’apprendre que ces êtres ignobles pouvaient toujours recevoir de l’aide à Sainte-Mangouste. Je comprenais bien entendu les implications de la présomption d’innocence: innocent until proven guilty. Certes, elle était d’une importance capitale dans notre société et beaucoup de personnes s’étaient battues pour la voir reconnue. Cependant, que cette présomption puisse s’appliquer à des gens qui ne la méritait définitivement pas me rendait malade.

Je soupirais lourdement. Fabian avait raison, évidemment. Il serait difficile de rester neutre à présent. Ces trois années avaient apporté de nombreux changements dont je n’étais pas encore pleinement consciente, mais ce n’était à présent qu’une question de temps avant que je ne me range dans un camp. J’espérais tout de même pouvoir maintenir un semblant d’illusion pendant quelques temps encore. Un sursis de bien courte durée, au vue de la description que me faisait Fabian de la situation actuelle. Ses paroles étaient particulièrement convaincantes, et je pouvais sentir à quel point il était impliquée dans la cause qu’il avait fait sienne.

Alors que j’allais lui répondre, Fabian ajouta qu’il n’avait plus grand chose à perdre, raison de plus pour s’engager dans ce combat contre les Mangemorts et leur Maître. Une vague de culpabilité m’assaillit. Si Fabian tentait de mesurer ses mots en s’adressant à moi, je savais que mon départ avait été décisif dans ce choix qu’il avait fait. J’étais responsable de son implication grandissante dans cette guerre. « Je comprends ce que tu veux dire Fab, et j’imagine que je comprendrais encore mieux lorsque je retrouverais mon poste au Ministère dans quelques jours. La neutralité n’est plus un luxe que je peux me permettre. Si je suis obligée un jour prochain choisir mon allégeance, je pense qu’il est évident de quel côté je serais. » Je fis une pause, en lui adressant un mince sourire. Il était difficile d’imaginer que je puisse un jour me retrouver en première ligne dans cette guerre à vrai dire, mais cela ne m’empêchait pas d’être favorable à un camp plutôt qu’à un autre. C’était un progrès par rapport au discours que je tenais quelques années plus tôt seulement, alors que je refusais obstinément de me rendre à l’évidence. « Contrairement à ce que tu dis, je pense que tu as encore beaucoup à perdre, que tu veuilles l’admettre ou non. Cela ne veut pas dire que je ne respecte pas ton choix. » Tout comme j’avais douloureusement respecté sa décision de ne pas partir avec moi aux États-Unis en vérité. « J’aimerais simplement ne pas avoir à me déplacer pour ton enterrement. En plus, le noir n’est pas ma couleur préférée; je préfère éviter d’en porter autant que je peux. » Il valait mieux en plaisanter qu’y songer sérieusement. De toute façon, je n’étais plus la meilleure placée pour lui conseiller quoique ce soit.

Personne ne semble comprendre le problème qui agite le monde magique en ce moment, et c'est justement ce qui rend les choses si intolérables. Oui Fabian se retrouve à devoir soigner les mangemorts qui attaquent ses amis sur une base quotidienne. Dire qu'il le vit assez mal serait d'ailleurs un euphémisme incroyable. La situation est tout sauf satisfaisante, et le mot neutralité n'a finalement que très peu de sens dans un contexte de guerre ou une bande de lâche encapuchonnés s'en prennent au nés moldus et à leurs amis sans la moindre once de remord. Malgré le temps qui passe et la situation qui ne s'améliore pas, Fabian ne voit pas bien comment tout ça pourrait évoluer positivement. Pour autant, il n'y a pas tellement matière à réfléchir sur son allégeance. Si personne se se lève pour arrêter les mangemorts, alors il n'y aura de futur pour personne. « Je dois les soigner, parce qu'ils viennent à l'hôpital et que nous n'avons rien pour les incriminer, c'est mon quotidien Hestia, et il n'y a rien que je puisse faire pour le changer. » Il est médecin, et il perdrait son job si il refusait tout simplement de soigner quelqu'un parce qu'il le soupçonne de travailler pour le compte du seigneur des ténèbres. C'est peut être critiquable sur le fond, mais c'est la responsabilité de tout médecin qui se respecte. Parfois Fabian a l'impression que ces années passées au états-unis lui ont fait perdre toute connexion avec la réalité, et la gravité de la situation au Royaume-Uni.

Fabian se détend cependant lorsqu'elle lui rappelle qu'il n'y a pas de choix cornélien à faire quant à son allégeance. Il connaît son Hestia, il sait qu'elle ne rejoindrait jamais le camp adverse même pour sauver sa peau. Ce n'est pas pour rien qu'ils ont été amants dans le passé. Fabian n'aurait jamais pu s'attacher à une femme qui aurait émit des doutes sur le nécessité de résister. C'est un stupide Gryffondor, et il le sait, mais il sait aussi qu'il a toujours été bien entouré. La trahison n'a pas sa place dans son cercle d'amis. « Il n'y a pas vraiment de choix à faire, quand on sait que ces gens n'hésiteraient pas à exterminer nos amis sans remord. Ce n'est pas un choix Hestia, c'est une évidence. On ne peut plus les ignorer. C'est la seule différence. » Fabian en sait quelque chose, difficile de détourner les yeux quand son ami Ted Tonks est la cible de la vendetta personnelle de Bellatrix Lestrange par exemple. Si il n'a aucune confiance en l'avenir, il ne veut pas faire partie de ceux qui n'ont absolument rien fait pour arranger les choses. «  Je sais ce que tu penses, Molly pense la même chose, mais j'ai trente ans et pas d'enfants, un appartement bordélique avec mon frère, je fais partie des gens qui peuvent changer la donne. Si il m'arrive quelque chose, je sais au moins que j'aurais tout fait pour m'opposer à ce qui est en train de se produire ici. » Il sait très bien que ça ne suffira pas à la convaincre, mais il ne peut pas changer ce qu'il pense de la situation. « Nos décisions sont prises de toute façon, tu le sais aussi bien que moi. »

« Je comprends et je ne te fais aucun reproche. Tu fais seulement ton travail et ce n’est pas de ta faute si les mangemorts osent se pointer à St Mungo pour profiter des soins… » C’était avoir une bien trop bonne opinion des mangemorts que d’imaginer qu’ils se refuseraient le privilège de visiter l’hôpital magique uniquement parce qu’ils s’attaquaient tous les jours à des innocents. Ils pensaient être du bon côté de l’histoire. Après tout, les épouvantards des uns sont les héros des autres. Je ressentais une certaine gêne, et surtout de l’indignation ; il était sans aucun doute terriblement difficile pour Fabian, Gryffondor dans l’âme, de faire profil bas et s’exécuter lorsqu’il se retrouvait face à l’un d’eux dans son service. J’allais me retrouver dans la même situation au Ministère de la magie, inévitablement. Alors seulement, je pourrais comprendre ce que ressentait le jeune homme.

Je me permis de siroter ma boisson gazeuse, dans l’atmosphère relativement détendue qui était la nôtre. Il y avait heureusement bien peu de clients dans ce café, et cela leur permettait de parler d’un sujet que personne n’osait aborder en public d’ordinaire. Tout le monde savait, et personne n’en parlait. C’était exactement l’idée que j’avais en tête en revenant à Londres. Si j’encourageais silencieusement ceux qui se battaient dans cette guerre contre une horde de mangemorts, j’aurais beaucoup aimé que tout reste tranquille dans ma petite bulle. Sauf que Fabian avait raison une nouvelle fois : il était impossible d’ignorer ce qui se passait. Plus la conversation avançait, et plus je me rendais compte que mon appartement cozy et sécurisé à Chicago était bien loin à présent. « Je sais » dis-je, en m’avouant vaincue une nouvelle fois. « On aura beau te dire de faire plus attention à toi, tu n’en feras qu’à ta tête de toute façon. Impossible de t’arrêter une fois que tu as une idée qui te tient à cœur. Seulement ne crois pas que nous ne serons pas constamment sur ton dos à te dire d’être plus prudent, que ce soit Molly ou moi. Parce que tu as encore toute ta vie devant toi, à trente ans, même si tu as décidé de défendre une noble cause. » Cela avait toujours été comme ça, et je ne pouvais pas m’empêcher de me faire un sang d’encre concernant les personnes qui m’étaient le plus proche. Heureusement que Fabian n’avait pas rejoint la résistance. Imaginer Fabian se battre contre des mangemorts était digne de l’un de mes pires cauchemars. « Je suis consciente que la situation a changé ; que tout est devenu pire qu’avant. Seulement aujourd’hui, j’ai d’autres raisons pour ne pas prendre part au conflit. » À la différence de Fabian et de ce qu’il pensait de sa propre situation, la peur m’empêchait de faire quoique ce soit. En cela, j’étais différente de Fabian et de ses gênes de Gryffondor : j’avais bien trop peur de m’engager dans quoique ce soit, surtout maintenant que j’étais enceinte. Ce n’était pas non plus une décision que je pouvais me permettre de prendre toute seule. « Tu n’es peut-être pas au courant, mais je me suis mariée il y a quelques mois. Il s’appelle Sebastian Jones et il sera également présent à l’enterrement. » Je n’ajoutais rien de plus, pour laisser à Fabian le temps de digérer cette nouvelle.

Être ainsi confronté à son passé n'est pas de tout repos et Fabian a bien conscience qu'Hestia se retrouve face à une version de lui qu'elle ne reconnaît sans doute plus vraiment. Engagé, il l'était déjà avant, mais prêt à risquer sa vie en dehors des heures de travail à St Mungo et tenir des discours révolutionnaires en public, comme le faisait Gideon à l'époque, ce n'est sans doute pas le Fabian qu'elle avait en tête en arrivant ici. Aujourd'hui, c'est presque comme si il entraînait son frère et les autres dans cette lutte contre les forces du mal. Ce serait mentir que de dire que sa rupture avec Hestia n'a joué aucun rôle dans ce changement drastique dans son mode de vie, mais il n'est pas là pour la faire culpabiliser. Dans le fond, il ne veut que son bonheur, même si ce n'est pas avec lui. Fabian s'apprête donc à répliquer quand il est coupé au vif par l'évocation du mariage d'Hestia. Il est au courant bien entendu, par par la principale intéressée qui a sûrement eu du mal à placer l'information dans la conversation, mais elle oublie peut être un peu trop souvent qu'ils ont des amis en commun, des amis qui fréquentent le Chaudron Baveur tout comme lui d'ailleurs, et qui ne savent pas forcément faire preuve de la même discrétion qu'elle à ce sujet. Et puis, ce n'est pas comme si Fabian n'avait pas cherché à obtenir lui même l'information, désespéré qu'il était. « Je suis au courant, tu sais les rumeurs vont vite au Chaudron Baveur. Tu les connais après deux trois Bierraubeurres... » Fabian esquisse un sourire triste qu'elle connaît malheureusement trop bien. Il voudrait se prêter au jeu du mensonge éhonté, qu'elle ne le croirait pas de toute façon. Autant d'années passées ensemble ça ne s'efface pas comme cela. « Enfin, je suis sincèrement heureux pour toi, et j'ai hâte de faire sa connaissance. » Ce qui n'est ni tout à fait vrai, ni tout à fait faux. La curiosité rend cependant l'affirmation sincère, tout comme son envie de mettre le passé derrière lui. Hestia appartient à un monde sur lequel il a déjà fait croix, ou presque. Question de timing, sans doute, ce n'est qu'un moment à passer. « C'est sûrement quelqu'un de bien. » Il l'espère en tout cas, en dehors d'une petite partie égoïste de lui qui aimerait sans doute une raison valable pour se battre pour le cœur d'une Hestia de retour à Londres.

J’avais appréhendé l’annonce de mon mariage à Fabian. Cependant, annoncer à son ex-fiancé que l’on avait fini par se marier à un autre n’était certainement pas la chose la plus aisée à faire. J’avais réussi à tourner la page ; difficilement, avec l’aide de Sebastian. Qu’en était-il de son côté ? Cette question n’avait pas été abordée dans nos conversation amicale, et je ne me sentais pas de lui demander si lui aussi avait réussi à avancer sur le plan sentimental, malgré tout, malgré nous. Je ne pouvais pas le savoir par le biais de quelqu’un, car j’avais délibérément filtré les informations le concernant, ces dernières étant bien trop douloureuses à entendre, surtout durant la période suivant la rupture. Au fond, même si j’aurais sincèrement souhaité que ce soit le cas, je craignais d’apprendre que Fabian vivait parfaitement bien sans moi, l’image d’une gentille femme à ses côtés et de petits Prewetts courant autour de lui revenant sans cesse dans ma tête. Cependant, si cette courte entrevue m’avait bien appris une chose, c’était que Fabian n’aspirait plus à une vie de famille, quant bien même nous en avions rêvé durant des années. La responsabilité m’incombait en partie - voire entièrement si j’étais totalement honnête avec moi-même -.

Finalement, l’annonce n’eut pas l’air de le surprendre tant que ça. Des rumeurs étaient parvenues à ses oreilles, alors il était déjà au courant, et ce n’était certainement pas ainsi que j’aurais souhaité qu’il l’apprenne. J’avais toujours détesté les ragots, surtout lorsque j’en étais le sujet principal. « J’aurais dû m’en douter… » marmonnais-je plus pour moi-même que pour lui. Je levais les yeux, affrontant un sourire triste qui témoignaient de tant d’émotions contradictoires. Fabian était sincèrement heureux, il ne mentait pas. Cependant, que ce soit de son côté ou du mien, il allait à jamais rester cette zone d’incertitude, un futur si proche qui ne s’était pas concrétisé. Un futur dont je nous avais privé. J’eus un pincement au cœur en le voyant ainsi. C’était comme si j’étais en train de lui lancer un Doloris bien cruel, contre lequel il se débattait intérieurement. Je tentais un sourire en retour, qui devait ressembler plus à une grimace en fin de compte : « j’espère pouvoir te le présenter un jour. Pas… enfin pas le jour de l’enterrement, mais un autre jour. Je serais à Londres pour quelques mois au moins. »  Si une rencontre entre les deux hommes de ma vie ne s’imposait pas à première vue, il était tout de même important que je réconcilie mon passé et mon avenir. De plus, les deux hommes allaient sans aucun doute se croiser, les endroits que nous fréquentions étant les mêmes. Encore fallait-il que je parle à Sebastian de ma précieuse entrevue avec Fabian, ce qui allait probablement s’avérer compliqué. Pour le moment, je voulais profiter de mes derniers instants avec Fabian, sans réfléchir à quoi que ce soit d'autre. Juste le temps de terminer nos boissons et de nous quitter en toute amitié.