1959 – WILL I ALWAYS BE DEFINED BY MY MISTAKES ?Un babillage interrompit la course de sa main qui reposa le stylo alors qu’il rédigeait la fin d’une ébauche d’article pour le Daily Express. Joshua releva la tête et observa la petite tête blonde agiter joyeusement ses feutres dans tous les sens, répandant une vague de traits colorés sur le tapis par mégarde. Malgré lui, un sourire tendre se dessina sur ses lèvres tandis que son épouse Aghna le rejoignit dans le salon, un air déconfit alors qu’elle était visiblement la seule à voir les dégâts causés par le petit trublion.
« Chéri, Jolene a encore … » Le mari haussa brièvement les épaules. Il était bien évidemment conscient qu’en papa un peu trop protecteur, il avait tendance à excuser toutes les bêtises de sa première fille et ce même s’il regretterait sûrement plus tard de s’être extasié de ses moindres faits et gestes.
« C’est rien, ça se lave. » Et au pire, il était parfaitement capable de découper le morceau de tapis pour l’encadrer en guise d’œuvre-d’art.
Ses yeux contemplèrent quelques secondes la silhouette fine d’Aghna avant de rajouter avec une pointe de malice.
« Si ça se trouve elle va même réussir à les effacer elle-même. Comme la dernière fois. » La jeune femme eut un petit rire partagé entre l’amusement et la tendresse avant de rompre le silence tout juste rythmé par le fond sonore musical de la radio magique dans leur dos.
« Tu sais que mes parents m’ont demandé si elle était comme moi ? » Dans la voix de la jeune épouse, une amertume certaine se ressentait. Josh se rappelait parfois du mur auquel leur couple s’était violemment heurté quand elle avait annoncé être tombée amoureuse d’un moldu. De leurs premières années de vie en banlieue écossaise moldue, où Aghna peinait à trouver un emploi avec ses études de sciences magiques occultes pendant que lui réussissait enfin à percer dans le milieu de la presse sportive. Quand ils avaient envoyé les faire-part de mariage, et qu’ils n’avaient rien reçu d’autre qu’une lettre glaciale qui annonçait à la future madame Pearson la disparition de son nom des héritages ainsi que la déception notable qu’elle suscitait en fréquentant
une telle population. Et puis quand, un an après, leur tout premier bébé avait vu le jour.
Josh jouissait d’une fierté presque viscérale en réalisant tout ce qu’ils avaient vécu et leur unité face à une telle situation. En y repensant, c’était sûrement pour sa détermination et sa persévérance envers et contre tout qu’il était tombé amoureux de cette jeune fille un peu originale qui avait eu pour seul crime d’avoir plus d’ouverture d’esprit que ses géniteurs. Curieux, il osa poser la question qui lui brûlait les lèvres.
« Qu’est-ce que tu leur as répondu ? » La réponse ne se fit pas attendre, douce et néanmoins affirmée.
« Rien. S’ils veulent la connaître, ils n’ont qu’à venir la voir. Venir nous voir, et non pas se réveiller des années après. » corrigea avec une justesse paisible la jeune maman avant de chasser la sensation oppressante qui les envahissait à chaque fois que ce sujet revenait sur le tapis.
« Allez, je vais m’occuper de notre petite sorcière. » En quelques enjambées, elle avait rejoint Jolene.
« Viens par ici, toi ! »***
1969 – WE ALL HAVE OUR SECRETSC’était son cours préféré, n’en déplaisent aux Serpentards qui avaient toujours bêtement cru que le monopole des philtres était réservé à leur Maison. Et d’habitude elle adorait les voir enrager quand elle réussissait mieux qu’eux sa décoction sans avoir à réellement se forcer. Elle qui n’avait jamais manqué une occasion de ne pas passer inaperçue se tenait étonnamment à l’écart ce jour-là, agitant frénétiquement sans même surveiller le contenu de son chaudron. Ses mirettes étaient vissées sur les deux filles de sixième année, cravates vert et argent en étendard, qui papotaient tranquillement au-dessus de leur feu comme si elles étaient chez Pieddodu.
Elle ne parvenait pas à se détacher d’elles, encore obnubilée par l’étrange état second dans lequel elle s’était retrouvée il y a seulement quelques minutes. Ca lui paraissait encore irréel, comme si elle était sortie d’un rêve ouaté aux couleurs et aux détails sensoriels surexposés. Pourtant Joe avait la conviction intime que la vision qu’elle avait eu ne tenait en rien du rêve. Ce n’était pas la première fois que
ça lui arrivait. Les mains moites, l’esprit ailleurs, et le cerveau encore brumeux croulant sous les images en rafale, estompées et mélangées, du souvenir vif qu’une entité indéfinissable s’amusait à faire apparaître aléatoirement dans sa tête.
L’écossaise se détourna furtivement, tournant une page de son manuel pour se donner une contenance et du temps pour réfléchir, voire agir. Elle se triturait les doigts nerveusement, pas fichue de prendre une décision pour la première fois de sa courte existence d’adolescente braillarde. Qu’est-ce que ça lui coûtait de les prévenir ? Rien du tout, à part une forte probabilité d’être ridicule et de passer pour une cinglée. Mais elle savait juste ce qui allait se passer, elle ne pouvait tout bonnement pas courir le risque de laisser le cours des choses se produire et rester les bras ballants. L’une des deux élèves avait fait une erreur dès le départ, une erreur que personne n’avait remarquée et si elle ajoutait l’ingrédient de trop, leur chaudron allait tout bonnement exploser. Amis ou pas, troisième Œil ou pas, elle préférait rester honnête jusqu’au bout. Une fraction d’hésitation supplémentaire et la petite rousse s’apprêtait à rajouter la feuille de mandragore qu’elle aurait du normalement ajouter à la recette. Un beuglement suspendit son mouvement.
« Ne le fais pas ! »La Gryffondor avait failli attraper le bras de la concernée qui sursauta, dévisageant Joe de la même façon qu’on observait un fou furieux fraîchement sorti d’asile.
« Euh, sérieusement Pearson ? T’es toujours obligée de te mêler de ce qui te regarde pas ? »« Ouais c’est clair … Tu cherches quoi encore ? » Sa comparse lui adressa une moue méprisante qui n’avait rien d’engageant, mais Jolene décida de passer outre et poursuivit, d’un ton sec et brusque.
« Je cherche rien, je te dis de pas mettre cet ingrédient, alors arrête de te poser des questions et ne le fais pas ! »Un ange passa durant lequel les deux Serpents s’échangèrent un long regard hésitant avant de finalement écraser la dignité de la blonde sans regrets sous une couche de mépris.
« Ah oui ? Tiens comme c’est bizarre, c’est pourtant ce que le manuel dit … »fit mine de lire la rouquine en se penchant à outrance sur le livre qu’elle colla sous le nez de la Gryffondor. L’autre, qui ne voyait aucune raison valable d’écouter les recommandations d’une élève qu’elle ne portait pas vraiment dans son cœur, récupéra les morceaux de mandragore séchée.
« Désolée, je crois que tu n’auras pas la meilleure note cette f- »Elle avait à peine lâché la poignée de feuilles au-dessus du chaudron de cuivre qu’un bruit sourd avait retenti et qu’une fumée violette avait envahi l’espace autour d’elles. Dans un concert de quintes de toux, il fallut que les volutes pourpres s’estompent à l’aide de plusieurs sorts lancés par l’enseignant pour que, une fois la panique passée, le visage cette fois-ci rouge de colère et de peur réapparaisse devant Joe.
« Comment tu l’as su ? » Evidemment. A chaque fois, cette question. Et à chaque fois, pas de réponse. Et comme souvent …
« Je parie que c’est toi ! T’as trafiqué notre chaudron ? » … L’accusation finissait naturellement par tomber.
Dans un automatisme, Joe rétorqua vivement, piquée au vif.
« Mais non ! » Sur la défensive, son attitude n’arrangeait rien mais elle refusait catégoriquement d’admettre qu’elle avait vu ce qui s’était passé. Qu’elle l’avait
prédit – comme une insulte, son subconscient bloquait le terme qui demeurerait obstinément coincé dans sa gorge. Avouer qu’elle était douée d’une capacité qui la dépassait et en laquelle elle peinait à croire avec sérieux était au-delà de ses forces. Alors plutôt que d’affronter les choses, la rouge et or se rétracta un peu plus.
« Pourquoi je l’aurais prévenue si c’était ça ?! » Trop tard pour faire machine arrière. Quelques murmures de ses camarades semblaient déjà dire que tout ça était bizarre, et que si elle ne l’avait pas fait exprès pour faire perdre des points aux autres, cet incident n’était pas vraiment pour jouer en sa faveur. Si le professeur était encore trop occupé à nettoyer les dégâts pour s’occuper d’elle, il y avait fort à parier qu’il finirait par soupçonner à tort une mauvaise farce de sa part – et elle écoperait d’une heure de retenue en gage de remerciement. Maudit troisième Œil.
***
1973 – SHOULD I STAY OR SHOULD I GO ?Ses yeux plissés parcourent une troisième fois l’énoncé du cas du patient théorique qu’elle avait sous le nez. Les indices étaient formels, et le diagnostic semblait mener tout droit à la possibilité d’une de ces maladies contagieuses virales dont seul le monde magique avait le secret. Si en temps normal elle aurait été persuadée et aurait foncé sans hésiter pour donner la réponse, les soupirs ennuyés à répétition de son interlocuteur la déstabilisaient une nouvelle fois. A court de stratagèmes pour parvenir à une conclusion qui la convaincrait assez de prendre la parole, Joe se botta mentalement les fesses et se racla la gorge pour se lancer, un clair manque de conviction dans la voix.
« C’est … la scrofulite ? »Le retour de flamme ne tarda pas, affreusement désintéressé, alors que le blondinet détachait à regret l’attention qu’il avait toute entière pour la fille assise à côté de lui – sa petite amie, au vu de leur proximité gênante, qu’il n’avait eu aucun problème à imposer en pleine heure de tutorat – pour la scruter brusquement sans le moindre sourire. Glaçant, il était glaçant.
« Tu penses ou tu es sûre ? Non parce qu’on ne peut pas dire que le doute soit permis quand tu seras en salle d’opération. » C’est peut-être pire qu’une gifle, ou en tout cas plus humiliant encore que s’il lui avait dit très distinctement qu’elle n’était bonne à rien.
Joe en a marre. Depuis le premier jour où elle a eu la
chance de tomber sur Milo Hopkins comme tuteur, elle s’était dit que ça ne pouvait pas être un mal, bien au contraire. En dépit de ses airs trop sûrs de lui et des groupies agaçantes qu’il cumulait, il était après tout un des meilleurs de sa promotion. Il allait forcément lui apprendre des choses, ou en tout cas la rendre meilleure. Mais force était de constater qu’après plusieurs mois d’assiduité à toutes ces heures de travail en binôme, la blonde commençait sérieusement à baisser les bras. Réaliste, elle n’avait jamais imaginé que Milo puisse jouer les anciens aimables et chaleureux mais qu’au moins il prendrait à cœur son rôle et qu’il jouerait le jeu. Si ce n’était pas pour elle, qu’il le fasse au moins pour avoir la paix avec le corps enseignant. Même ça, ça semblait lui être complètement égal ; et Jolene ne voyait aucune façon de changer la donne. Elle s’était montrée souriante, motivée, studieuse, elle ne lui avait à aucun moment léché les bottes – ça, elle en était bien incapable – et plus les jours passaient, plus elle sentait leurs patiences respectives s’amenuiser l’un envers l’autre.
« Je sais pas, je pense juste que c’est ça ; si on fait le diagnostic positif, le différentiel et l’étiologique, c’est ce qu’il a logiquement ! Les douleurs, la fièvre, les lésions cutanées en forme hexagonale … Non ? » Elle avait répondu un peu plus agressivement, légèrement agacée d’être prise pour une idiote ; au demeurant, c’était le ressenti qu’elle avait.
« J’en sais rien, c’est pas moi qui passe mes examens la semaine prochaine. » Et mesquin, en plus de ça.
Joe dévisagea tour à tour le blondinet et sa petite amie pendant un court instant sans rien dire. Eux se souciaient déjà bien peu d’elle, ce qui avait le mérite de rendre leur temps sûrement bien plus distrayant que le sien qu’elle avait la sensation de perdre complètement. Comment le reste des étudiants pouvait l’envier d’avoir en guise de mentor le roi des abrutis ? Ce type n’était rien que ça, en fait : un stupide crétin condescendant et infect. Impossible qu’il devienne un jour un bon médecin – et ce même si son classement disait tout le contraire.
« Bon. » Sur un coup de tête, la sang-mêlée attrapa ses parchemins, les quelques livres qu’elle referma avec une certaine maladresse due à la colère mal contenue qu’elle éprouvait et fourra toutes ses affaires pêle-mêle dans son sac.
« C’est bon. C’est assez comme ça. » marmonna t-elle.
Ce fut en jetant un bref coup d’oeil comme pour s’assurer qu’ils étaient toujours en compagnie de la cinquième roue du carrosse qu’on lui avait attribué que le plus âgé des deux réagit enfin, si tant était qu’on pouvait qualifier son haussement de sourcil narquois de réaction.
« Quoi ? »« J’ai dit que c’était assez comme ça. Je m’en vais, c’est bon. » Elle n’attendit même pas un mot ou un geste de sa part – il n’en aurait pas – pour repousser sa chaise bruyamment et quitter la classe comme une furie, les joues rouges et l’air renfrogné alors qu’au loin la voix de son tuteur parvenait à se faire entendre comme un lointain écho moqueur.
« Si tu t’attendais à avoir une médaille pour chaque bonne réponse, tu t’es plantée de voie ! »Sale con, va, s’entendit-elle songer très fort.
***
1975 – SHE'S DRIVING ME CRAZY BUT I'M INTO ITDépartement des Mystères, lui annonça le panneau après avoir traversé une bonne douzaine de couloirs tous plus longs et plus pauvres en indications les uns que les autres.
« Vraiment ? » A bout de nerfs et persuadée d’être la victime d’un sort de Confusion, la jeune femme poussa un profond soupir et se retint d’envoyer paître la boîte réfrigérée qu’elle tenait dans ses mains depuis le début. C’était, en quelque sorte, le poids mort de son errance dans les tréfonds du Ministère anglais. Elle aurait déjà du être à son point de rendez-vous depuis une demi-heure et allait très certainement se faire tuer par ses supérieurs si elle ne trouvait pas rapidement la sortie de ce labyrinthe.
« Joe, t’es le boulet de l’année. » désespéra la blonde en secouant la tête avant de se reprendre et de faire le tour sur elle-même. Elle n’avait pas de meilleure option pour faire le point, à vrai dire.
Elle s’apprêtait à sortir sa baguette pour tenter un quelconque sort d’orientation quand une voix grave l’interpella à l’autre bout du couloir, sa main en lâchant sa baguette dans un sursaut digne d’une pucelle effarouchée.
Vraiment, t’es parfois une poule mouillée, rumina l’intéressée alors qu’elle se baissait pour ramasser son artefact magique et plonger tête la première dans les ennuis.
« Je peux savoir ce que vous faites là, mademoiselle ? » L’inconnu s’était avancé jusqu’à elle et lui faisait maintenant face, bras croisés et un air insondable plaqué sur son visage.
Il n’avait pas l’air particulièrement commode, pour autant il ne la menaçait pas et avait plutôt même l’air d’être friand de l’explication qu’elle lui servirait. Un peu comme s’il réfléchissait d’avance à la façon la plus drôle de la faire mariner encore un peu entre l’inquiétude de passer un sale quart d’heure et le soulagement de trouver son chemin.
« Excusez-moi je … » Peut-être que faire les yeux doux rattraperait la mise ? Après tout elle ne mentait pas en disant qu’elle n’avait absolument pas choisi d’atterrir ici mais qu’on pouvait compter sur son absence totale d’autonomie pour se repérer seule dans un bâtiment comme le Ministère sans passer par au moins un lieu interdit au public.
« Je suis complètement perdue, je cherchais la section des Accidents Magiques ; Joe Pearson, je viens pour Sainte-Mangouste avec un colis, je croyais que c’était là mais non et en plus je suis hyper en retard … » De guerre lasse, l’interne coupa net sa tirade empressée bourrée d’informations désarticulées et laissa le mystérieux employé juger de sa sentence.
Une seconde éternelle s’écoula avant qu’il ne daigne enfin donner le fond de sa pensée.
« C’est la première fois qu’on me la fait, celle-ci. » Au vu de son air toujours aussi imprévisible, la jeune il n’avait pas prévu de l’emmener en interrogatoire, ce qui voulait au moins dire qu’il la croyait. Ca ne l’empêcherait sûrement pas non plus de devenir la prochaine histoire drôle dans les bureaux quand il retournerait à ses occupations. Lorsque sa voix brisa le calme du service désert dans lequel ils se trouvaient, la jeune sorcière crut bien déceler une étincelle de malice dans son timbre toujours aussi mesuré.
« Suivez-moi, je vais vous montrer où c’est. »« Merci infiniment … Un coup d’œil rapide sur le badge de l’employé lui donna sur un plateau son prénom et son nom.
Monsieur Monroe. »Le brun ralentit un peu sur le moment, surpris par cette tentative d’amabilité aigre-douce de la part d’une fille pas beaucoup plus jeune que lui. Encore un peu et il aurait pu croire qu’elle essayait de le draguer … Ce qui n’était franchement pas son style, en réalité, mais il y avait un début à tout. Un demi-sourire ironique sur les lèvres, il se contenta de reprendre sa marche avant de répliquer sur le même ton.
« Mais de rien, visiteur. » La blonde ne put réprimer un retroussement de ses commissures alors qu’elle suivait de près son guide éphémère. L’attention de celui-ci passa de son visage à la boîte qu’elle tenait fermement dans ses bras.
« Au fait, vous transportez quoi exactement ? » Tiens donc, il tentait de faire la conversation ? Ou bien il était seulement réellement piqué dans sa curiosité. Après tout, s’il travaillait au Département des Mystères, ça ne devait pas être totalement un hasard. D’un air profondément mystique, Jolene répondit en tardant un peu, ses mots minutieusement choisis pour cet interlocuteur qui l’intriguait et lui donnait envie de le provoquer gentiment.
« Oh, ça ... Je pourrais vous le raconter mais vous ne me croiriez pas. » Un rire – enfin ! – trop bref, et déjà le dénommé Tybalt rétorquait sur un ton similaire.
« J’ai bien réussi une fois, essayez toujours. »Finalement, ça avait peut-être valu le coup de s’être trompée de chemin.