wish you were here | Moreen

Moreen avait la tête ailleurs, comme il était de plus en plus fréquent. Les muffins à la cannelle d'Eugene lui avaient bien permis de reprendre quelques couleurs – il n'y avait pas que ces muffins qui étaient responsables de son petit sourire, fait aussi rare que d'être en possession de la cape d'invisibilité dont parlait Beedle le Barde dans son conte, mais il était bien plus aisé pour la jeune fille de penser aux délicieux gâteaux qu'à la toute aussi délicieuse conversation qu'elle avait eu tantôt dans le placard à balais. Elle pensait à la femme aux cheveux bouclés qui lui avait plus ou moins promis une rencontre avec son père, en somme donc, Moreen pensait à son père, caressant d'une main absente la photo précautionneusement rangée dans la poche de sa jupe cachée par la longue cape réglementaire. Il lui avait fallu un temps pour s'habituer à ces vêtements bien différents de ceux que sa mère et elle portaient avant Poudlard. Il lui avait fallu un temps pour beaucoup de choses en fait, protégée qu'elle avait été dans cette vieille battisse familiale en plein cœur de la campagne irlandaise, loin de tout et de tous.

Elle marchait ainsi, le cœur lourd et la tête dans les nuages, lorsqu'elle entendit un son, une mélopée aux airs de nostalgie qu'elle n'avait jamais entendu mais qui frappa en plein dans son myocarde. La musique avait toujours eu cet effet sur elle, comme s'il lui permettait de réveiller les souvenirs les plus enfouis, les sentiments les plus cadenassés. Sans vraiment le vouloir, sans tout à fait le réaliser, elle s'approcha de la salle de classe dans laquelle elle ne s'était jamais aventurée. Classe abandonnée pour une raison que Moreen ignorait, si tant est qu'il y en avait une. Sa main presque transparente actionna la poignet et ses pieds entrèrent dans la salle alors qu'un nouveau couplet ou refrain débutait. Elle ne connaissait pas la fille qui jouait sur les cordes de la guitare, faisant sortir ces sons à lui couper le souffle. A dire vrai, elle n'observait pas réellement les cheveux sombres de la sixième année, ni même les couleurs verts et argents qui ornaient sa tenue, c'est une image fugace d'un père plus jeune qu'elle avait sous ses yeux. Qui chantait avec une voix rauque et parfois fausse tout en grattant sur les différentes cordes. C'est son père qui se trouvait devant elle.

Avant qu'il ne disparaisse lorsque la musique se stoppa et qu'à la place, deux yeux la fixèrent d'une façon interrogative et … agacée ?

« Oh pardon, je ne voulais pas te déranger. C'est juste que j'ai entendu la musique à travers la porte et ça m'a rappelé... » Ca m'a rappelé quand mon père me jouait des vieux morceaux de rock... Une main dans les cheveux, un pied en pointe qui frottait le sol embarrassé, elle s'arrêta dans son discours. « Enfin, c'est pas important, je peux te laisser si tu veux je ne voulais pas te déranger.. Tu joues très bien. C'est quel groupe ? » Moreen retint sa respiration, il fallait qu'elle se taise, et aussi qu'elle arrête de croiser des inconnus dans les salles abandonnées ou les placards à balais. Ce n'était vraiment pas bon pour sa santé !

Parfois Moreen aimerait être aussi minuscule qu’une souris. Pouvoir se cacher dans un recoin et que jamais on ne la dérange plus. A d’autres moments, la poufsouffle espérait simplement avoir la capacité la plus basique au monde, celle de s’ouvrir aux autres aussi facilement que Eugene l’avait fait avec elle. Poussée par la bonne humeur communicative du jeune garçon, et envoutée par les notes qui se dégageaient de la salle de classe, Moreen avait ouvert la porte sans réellement y penser, perdue dans ses souvenirs. Elle ne s’était pas attendue à trouver une serpentard. La rousse n’était pas du genre à avoir des préjugés – c’était pour cette raison qu’elle n’était pas tout de suite partie en refermant la porte derrière elle – cependant, elle avait été harcelée de trop nombreuses fois pour ne pas rester un peu sur ses gardes. Aucune envie de se retrouver à nouveau contre un mur.

La musique s’arrêta d’un geste brusque et la première expression de l’élève des verts et argents ne donnait point l’envie de s’épancher. Aucune insulte ne sortit de ses lèvres, pas même de la colère. Un sourire étira même son visage que Moreen trouva tout de suite bien plus avenant. Incapable de le lui rendre, elle fit l’effort de détendre ses muscles et les traits tirés de son visage blanchâtre constellé de taches de rousseur. Elle se calma en entendant la voix douce et non pas violente de l’adolescente et osa se rapprocher. « J’ai été attirée par la musique comme un niffleur par l'éclat d'une pierre précieuse. » tenta-t-elle pour détendre l’atmosphère et puis, elle n’aurait pas souhaité que l’inconnue pensa qu’elle l’espionnait ou cherchait à lui jouer un mauvais tour. Roh, détends-toi un peu. Repenser aux délicieux muffins d’Eugene l’aida, jusqu’à ce qu’un nom trop familier sorte des lèvres de la musicienne.

« Pink Floyd ? » Ses sourcils se froncèrent avant que son visage s’illumine d’une compréhension, voilà d’où provenait la nostalgie. « Je ne connais pas ce morceau. Mais le groupe oui. En fait, mon père me jouait des morceaux quand j’étais petite. » Et les mots s’échappèrent, une main devant sa bouche, trop tard pour les ravaler. A l’intérieur, Moreen se sentait étouffer sous la tristesse de ce père qu’elle cherchait désespérément à oublier ou à retrouver. Trop habituée à tout contrôler, elle n’en laissa rien paraître. Et puis, ce n'était pas comme si cette étudiante avait l'intention de la questionner sur son père ! « J’aime beaucoup ce groupe, mais je ne connais que leurs premiers euh morceaux - c'est comme ça qu'on dit non ? Et je m’appelle Moreen. Je suis enchantée de te rencontrer. » L’esquisse d’un sourire se dessina maladroitement sur ses traits poupins. « Tu … Tu joues depuis longtemps Lila ? » Parce que, tout ce qui aurait pu la rapprocher de celui qui hantait ses espoirs, l’intéressait.

Moreen ne remarqua pas la tristesse sur le visage de Lila, trop perdue dans ses propres souvenirs. Elle ne pouvait songer ne pas être la seule à avoir perdu son père, alors que l’idée n’était pas si farfelue ou étrange que cela. Cette rencontre particulière sonnait comme une plongée dans la nostalgie de l’enfance perdue, arrachée même, bien trop tôt. Et pourtant, elle ne désirait pas partir, souhaitait même en apprendre plus sur ce groupe, lien – aussi infime soit-il – avec le paternel envolé. Un discret sourire sur le visage éclaire quelque peu la jeune fille face au compliment. Prénom dont les origines lui étaient étrangères, comme tant d’autres choses que sa mère refusait à évoquer. La rouquine en avait conclu qu’il provenait de l’esprit de ce père déserteur. « Wish you Were Here. » L’ironie sautait aux yeux de la Poufsouffle. Peut-être que si elle s’ouvrait, les deux auraient pu s’accompagner dans cette ironie mordante et un brin douloureuse, mais les premiers n’étaient pas chose aisée pour elle, et rien que le fait de rester et de discuter avec cette étrangère lui coûtait déjà beaucoup. En courage et en énergie.

Des hochements de tête attentifs répondent aux précisions de Lila, « Ta guitare semble vieille. Enfin je ne m’y connais pas du tout pour être honnête. Ca doit faire une dizaine d’années depuis la dernière fois que j’en ai eu une sous les yeux. » Depuis qu’il était parti et que sa mère avait banni tout instrument de la maisonnée. Elle n’en dit plus, pensant déjà en avoir trop révélé. Mais le bois ne lui paraissait pas aussi brillant qu’il aurait dû l’être. A ses yeux peu experts. « C’était à mon père. » Sa gorge se noua, car Moreen ne possédait plus rien de son père et enviait avec force tous ces enfants qui pouvaient se targuer de tel ou tel héritage paternel. Livres prêtés, guitare offerte, et tout ce qu’elle ne connaîtrait peut-être jamais. Et la question fut posée, fatidique, pourtant si innocente. Moreen se refermerait presque sur elle, mais il n'y avait pas de malice dans la voix de Lila, elle ne ressentait pas chez elle le plaisir de faire souffrir de certains serpentards, ni même le ton hautain qu'ils se permettaient de prendre, comme s'ils étaient bien au-dessus de tous les autres. Alors, Moreen parla. C'était pas, mais déjà beaucoup pour elle. « Non. C’est un sorcier. Mais, il a toujours été attiré par le monde moldu. Et par la musique. Enfin je crois. Je me souviens d'un autre groupe, mais je ne connais pas leur nom ! » Car comment être sûre après dix ans ? Elle se rapprocha de quelques pas, trouvant soudainement bizarre cette distance les séparant, comme si elles se parlaient depuis deux endroits bien lointains. Cherchant peut-être inconsciemment à se rapprocher de l’instrument qui prenait des allures plus merveilleuses que toute la magie jamais apprise. « Le tien l’est ? Moldu j’entends. » Ce n’était pas réellement une question, plus une constatation. « C’est lui qui t’a appris à jouer ? » Cette fois, la pointe d’envie dans sa voix n’aurait pu passer inaperçue. Tant pis. Tant mieux ? C’était si fatiguant de toujours tout contrôler, et l’adolescente commençait à peine à le réaliser.  

La conversation prenait des tournures de nostalgie, d’une tristesse que les deux élèves ne pouvaient complètement dissimuler mais qu’elles ne percevaient pas chez l’autre, trop prises qu’elles étaient dans leurs propres souvenirs.

Elles étaient plus proches l’une de l’autre maintenant, toujours en respectant une distance convenue. Moreen avait un sourire en place, celui des jours gris, le masque pour cacher sa détresse, sa solitude, ses angoisses. Personne n’aurait pu voir au travers, sauf peut-être Nicola, et aussi Siobhan si les deux jeunes filles se voyaient plus. C’était comme si Lila et elles se renvoyaient la patate chaude qui leur brûlait les mains, et le cœur. Changer de sujet, tenir la discussion éloignée de son père, voilà ce que la rouquine cherchait à faire. Et pourtant, il y avait aussi la jalousie de ne pas avoir pu partager tout cela avec son père et peut-être un peu d’envie, une envie de discuter de ce paternel absent, de lui donner consistance par les lettres et les mots. Il avait un visage plus net depuis sa rencontre avec l’Auror, il avait son nom, ses couleurs, un sourire qu’elle pouvait dessiner de son petit index quand son absence lui devenait trop intolérable. Mais rien de tout cela ne le ramenait réellement à elle. Il n’était que dans sa tête et jamais dans ses mots. Et peut-être, peut-être, que Moreen avait besoin de cela aujourd’hui.

Pourtant, elle faisait tout son pouvoir pour éloigner la discussion du paternel roux. Sans remarquer que c’était exactement ce que cherchait à faire Lila également. Un sang pur ? Il était rare voir des sang purs s’adresser aussi gentiment à une fille comme elle. Mais encore une fois, Moreen ne parlait que d’après son expérience limitée des serpentards hautains et prétentieux. Tout le monde ne pouvait être comme eux. Heureusement. Ce fut surtout l’emploi du passé qu’elle remarqua, et une main se porta à sa bouche. Qu’est-ce qu’elle était censée dire ? Toutes mes condoléances, je suis désolée, pardon… Mais tout cela lui paraissait tellement faux et puis comment pouvait-elle savoir ce que pouvait ressentir Lila ? Au moins son père à elle était vivant, même s’il avait fait le choix délibéré de l’abandonner ! « Oh… De la chance. Oui. Un peu. » est-ce qu’à ce moment le ton sombre de la serpentard la poussa à se confier, ou bien était-ce le besoin de lui faire comprendre qu’elle comprenait un peu ce que c’était de perdre un père ? Moreen aurait bien été incapable de le dire. Cependant, elle parla. « En fait. C’est très flou tout ça. Mon père est … Mon père est parti quand j’avais cinq ans. » Elle évitait son regard, les yeux fixés résolument sur la pointe de ses chaussures. « Je ne l’ai pas revu depuis ce jour. » Oui, il avait pu partager ça avec elle, mais il avait choisi de partir là où le père de Lila aurait sans aucun doute préféré rester si on lui avait laissé le choix.

Gênée un peu de la tournure que prenait leur conversation, un rire nerveux s’échappa de ses lèvres avant qu’elle ne le ravale, ses joues se teintant d’une note rosée. « Enfin, je. Et si on parlait musique ? » L’évitement, merveilleuse invention de l’esprit humain pour tenir à distance toute pensée inconvenante. Moreen excellait en la matière !