No excuses [Agathe]

Il sifflotait tranquillement alors qu'il traversait les couloirs, son éternel blouse sur les épaules, une feuille de soin à la main. Après avoir bossé toute la nuit les deux jours précédent, aujourd'hui était une journée courte, et il avait bien l'intention d'en profiter. Seulement deux heures de consultation aux urgences. Le brouhaha de celles-ci n'avait pas désenflé depuis ce matin, et ils avaient définitivement besoin d'une paire de mains supplémentaire. Et si Theodore appréciait parfois le calme de son bureau, les urgences étaient à son humble avis le cœur de son travail, et l'endroit où il aurait passé toute sa vie s'il le pouvait. Mais il fallait bien rentrer dormir, des fois. Et il avait beau adorer son travail, il aimait aussi ne pas être en total manque de sommeil à l'occasion. Alors seulement deux heures en coup de vent aux urgences, à prendre en charge les cas les moins critiques, et il pourrait enfin rentrer chez lui et dormir comme une souche pendant douze heures d'affilée. A moins que son chien ne s'y oppose, ce qui était fort probable.

Mais il n'était pas encore l'heure de partir et il chassa de son esprit l'idée de dormir. Pas pour l'instant. Il lui restait un peu de travail. Il se passa une main sur le visage pour se réveiller avant d'entrer dans le petit bureau de consultation où l'attendait son prochain patient. Ou sa prochaine patiente pour le coup. S'il la reconnue immédiatement? Peut-être pas immédiatement non. Mais ce visage lui disait quelque chose, pour sûr. De l'eau était passé sous les ponts depuis, mais après deux secondes, il pouvait mettre un nom sur ce visage. Cela n'allait pas l'empêcher de prétendre que non. Il n'était certes pas du genre à mentir, mais il n'allait pas non plus se rappeler à son bon souvenir. Avec un peu de chance elle l'avait oublié. Après tout, elle n'allait pas se rappeler de tous les Serpentards qui avaient été cons avec elle, sinon elle avait une mémoire impressionnante.

Il fit un geste vers elle pour lui serrer la main, tout en parcourant la feuille de soin qu'il avait dans les mains pour retrouver son nom. Comme s'il avait besoin de ça. Il évitait de penser à ses années à Poudlard, mais le souvenirs traînaient malgré tout dans un coin de son crâne. Et il avait suffisamment tourné ce nom en dérision pour qu'il lui reste dans un coin de son crâne. « Je suis le docteur Lewis. Agathe Wellington, c'est bien ça? » Quel talent d'acteur Teddy, si jamais la médecine ça marche pas, tu peux te recycler... Et il lui offrit en bonus son sourire le plus accueillant possible, bien qu'un peu figé. Non, il n'était jamais très à l'aise quand il était confronté à son passé et au fait que, définitivement, il avait été un sale petit con à Poudlard. Et il n'y croyait pas un instant, elle ne pouvait pas l'avoir oublié. Mais avec un peu de chance, elle ne saurait pas replacer son visage? Ni son nom? Ou bien elle n'oserait juste pas évoquer ces années-là, et il pourrait profiter de l'autorité naturelle que lui donnait son statut de médecin. Rien de bien glorieux hein, mais le glorieux n'était que très rarement le soucis de Theo. Pour l'instant, il se contenterait, si possible de ne pas avoir à assumer ses conneries d'adolescent auprès de sa patiente. Et pour l'instant, il attendait juste qu'elle lui sert la main avant d'aller se réfugier derrière le bureau et la laisser lui expliquer quel était son soucis.

Alors oui, certes, il devrait avoir l'habitude. L'habitude d'être dans cette situation désagréable, d'avoir l'air d'un con, qu'on le reconnaisse alors qu'il a prié tous les dieux pour qu'on l'ai oublié. Il devrait avoir pris le pli, avoir son petit discours tout prêt dans sa manche et le ressortir à toutes les sauces. Ca lui aurait bien simplifié et ça lui aurait évité de buter sur la façon appropriée de s'excuser. On aurait pu penser que ce n'était que parce qu'il voulait faire des excuses spécifiques à chacun et ne pas se contenter d'excuses génériques sans aucun cœur. Mais au vu de sa tendance à prétendre que tout le monde avait oublié son visage, ce n'en était que très peu crédible. Non, cela devait plutôt être son moyen de se punir lui-même de ses conneries. Obligé de revivre le même malaise à chaque fois, parce qu'il n'avait pas vraiment le droit de s'en défaire comme s'il n'avait jamais rien fait de mal. Du mal, il en avait fait. Et Agathe le lui rappelle bien.

Elle n'est plus la gamine qu'il s'était amusé à emmerder. Elle est une femme éblouissante de froideur et de sérieux. Elle est une femme qui lui en veut, de toute évidence, et ne manque pas de le lui faire savoir. Elle dit les choses avec une franchise qui aurait pu faire pâlir Theodore. Mais il est bien trop préoccupé par la question de savoir comment se sortir de là. Quelle est la meilleure solution. La meilleure façon de faire ses excuses et d'échapper à ce regard froid. Il est occupé à chercher comment s'en sortir, jusqu'à ce qu'elle lui tende son poignet pour l'autoriser à l'ausculter. Comme s'il pouvait passer à la suite sans autre forme de procès. Mh. D'habitude, on restait là à le fixer, attendant quelque chose de lui. Elle n'attend rien de lui, juste qu'il fasse son boulot.

Et pendant un instant, il se dit qu'il va s'en sortir comme ça. Sans un mot, il attrape son poignet d'une main et commence à l'observer. Avant qu'un soupir lui échappe. Non, il ne peut pas faire comme si de rien. Il n'est plus ce petit con là. Du moins il essaie de ne plus l'être. « Ecoutez, Miss Wellington... » La vouvoyer et l'appeler par son nom de famille lui semble étrangement anormal, mais il lui doit bien ce respect là. Elle l'a vouvoyé et il ne se permettra pas d'être plus familier. « J'ai passé ma scolarité à Poudlard à être un sale con, avec vous, avec d'autre, avec beaucoup trop de gens. Je suis vraiment désolé de vous avoir traité de la façon dont je vous ai traitée. Et je suis désolé d'avoir prétendu ne pas vous reconnaître pour m'éviter ce moment génant... » Il pourrait lui raconter l'histoire de sa vie sur son envie de se faire accepter, sur ce sentiment étrange de n'avoir pas d'autre choix que de se mêler aux ricanements pour faire partie du groupe... Mais elle n'a pas besoin d'entendre ses faux arguments pour excuser son comportement. Il pourrait lui dire que s'il avait l'opportunité de tout recommencer, ce serait totalement différent aujourd'hui, qu'il avait changé, qu'il réalisait ses erreurs, mais il n'était pas là pour lui mentir. S'il devait de nouveau être un gosse de douze ans à peine lâché dans une meute de loups, il choisirait sûrement aujourd'hui encore de se mêler aux loups plutôt que de se revendiquer mouton. Alors non, il ne va pas lui mentir ou lui faire de discours. Simplement des excuses. Parce qu'il ne voit pas quoi faire de mieux.

Il soupire à nouveau comme à chaque fois qu'il repense à cette époque et qu'il se rappelle le monstre qu'il a pu être. Qu'il se rappelle combien il a pu ruiner les années à Poudlard de certains. Et qu'il se rappelle combien, à l'époque, cela ne le dérangeait pas plus que ça. Puis il reprend son poignet dans une main et répète en marmonnant « Je suis désolé, vraiment désolé... ». Et le mieux qu'il puisse faire après ça, c'est la soigner. Elle n'est pas venue là pour le confronter, elle n'est pas venue là pour qu'il tente d'expliquer son geste, sa connerie de gosse, elle n'est même pas venue là pour entendre des excuses. Mais pour se faire soigner. Alors il effleure sa peau, lui fait tourner la main dans un sens, dans l'autre. Il se lève pour aller chercher dans les potions qui s'empilent derrière lui. « Vous vous êtes fait ça comment? » lui demande-t-il, de sa voix la plus sérieuse possible, alors que son doigt glisse sur l'étagère à la recherche de la potion adéquate.

Il a l'habitude de faire ses mea culpa, et il semblerait qu'il s'améliore avec le temps. Parce qu'il ne s'attendait vraiment pas à cette réaction. A quoi il s'attendait? Bonne question. Qu'elle lui fasse remarquer qu'il a été trop con pour pouvoir se permettre aujourd'hui d'espérer un pardon quelconque, peut-être. C'est bien parce qu'il est convaincu de cela qu'il ne demande jamais à ce que ses anciennes victimes l'absolvent, et qu'il se contente de s'excuser quand il n'a pas le choix. Sans rien espérer vraiment en retour. Peut-être s'attendait-il juste à ce qu'elle laisse monter le ton. Que ses excuses ne fassent qu'attiser la colère de la jeune femme. Mais de toute évidence, elle était bien trop mesurée pour ça. Et à la place de toute les réponses hautes en couleur auxquelles il pouvait s'attendre, elle préfère le remercier. Et s'il essaie de n'en rien montrer, il reste con un instant. Il ne sait pas trop ce qui lui vaut ce "merci", et il se sent coupable un instant d'avoir tenté d'échappé à ce moment gênant, quand cela semble apparemment compter pour elle.

Cela semble compter pour elle, comme si ça l'aidait à passer à autre chose. Il ne doute pas un instant qu'il ai changé. Le gamin influençable qu'il était à l'époque de Poudlard n'aurait jamais considéré la possibilité de s'excuser pour quoi que ce soit. Le sale gosse qu'il était n'aurait jamais été capable de se remettre en question et d'envisager un instant que ce qu'il avait pu faire était "mal". Il avait survécu à une adolescence au sein des Serpentards, et c'était tout ce qui comptait pour lui. Il ne doutait pas qu'il referait la même chose s'il devait le refaire. Parce que sa propre survie avait toujours été le principal pour lui. Mais il regrettait. Et il était ravi que ces années soient loin derrière lui, même si elle se rappelaient à son bon souvenir un peu trop souvent à son goût. Mais quand elle se rappelaient à lui à travers Agathe Wellington, c'était moins insupportable. Surtout quand il aperçut son sourire en coin, qui lui réchauffa un peu le cœur. Comme s'il était déjà un peu pardonné, simplement parce qu'il s'était excusé avec toute la sincérité dont il pouvait faire preuve.

Il fait une légère grimace quand elle lui décrit la scène la plus banale qu'il soit. Se tordre le poignet n'est jamais la chose la plus agréable qui soit. Il trouve enfin la potion qu'il lui faut cachée derrière d'autre et l'attrape alors qu'elle lui pose une question. Une question a priori innocente, mais sur une chose qu'il ne partage avec quasiment personne. Pourquoi il est médicomage. Il hausse les épaules comme s'il n'y avait pas de raison particulière. Mais il ne joue pas si bien la comédie que ça. Et il va bien falloir répondre. Alors il cherche le mensonge le moins loin de la vérité possible. « C'est ma... famille qui m'a poussé dans cette voie. Je trouvais ça passionnant. » Elle peut présumer ce qu'elle veut de son passé, après ce qu'il lui a fait subir. Mais elle ne connait rien de lui au fond. Et il ne voit pas en quoi la façon dont il l'a maltraitée à Poudlard l'obligerait à lui parler de sa sœur. Parce que non, il ne veut pas parler de sa soeur. Alors dire que c'est sa famille qui l'a poussé vers ce boulot, c'est le plus proche qu'il puisse faire. Parce qu'il a décidé de faire médicomage depuis que sa soeur est morte quand il n'était encore qu'en deuxième année. Mais il n'a vraiment pas envie parler de sa soeur. Même si le simple fait de penser à elle laisse planer une ombre dans son regard.

Mais il ne va pas s'attarder le sujet et il s'efforce de passer à la suite. Il pose la fiole qu'il cherchait sur le bureau juste à côté de Agathe. « Ça, c'est au cas où vous vous faites ça à nouveau. Ça prendra un peu plus de temps qu'un sortilège mais ça devrait régler touts les problèmes de foulures possibles. » Il attrape sa baguette dans sa poche, parce qu'elle n'est tout de même pas venue à l'hôpital pour rien et qu'il peut lui régler ça en deux secondes. « Et vous, vous faites quoi maintenant? » Parce qu'elle a découvert par hasard qu'il était médicomage, mais lui ne sait rien de sa vie et il se sent un peu lésé. Et puis ça ne coûte rien d'être un homme respectable et de faire la discussion. Un léger mouvement de poignet, et sa baguette vient appuyer doucement sur le poignet de la demoiselle. Ça pourrait presque paraître trop simple. Et si on lui demande son avis, franchement, ce n'est pas bien compliqué. Mais c'est peut-être parce qu'il passe son temps à lancer ce genre de sortilèges. Il est préférable que quelqu'un peu habitué évite de s'y essayer, les petits malins persuadés de pouvoir se soigner tous seuls finissaient souvent par arriver à Sainte Mangouste en bien mauvais état. On ne devient pas médicomage du jour au lendemain après tout, il fallait bien que ses années de formation aient servi à quelque chose.

Il attrape sa main et lui offre un léger sourire. « Je vais vous demander de garder votre poignet bien stable pendant deux minutes. » Il pourrait la laisser s'enfuir tout de suite, oui, mais Theo est prudent. Et perfectionniste. Le temps que le sortilège ai bien fait effet, il préfère la faire attendre, afin de s'assurer qu'il n'y a rien de plus grave qu'un entorse. Elle n'est pas venue à l'hôpital pour rien après tout, autant qu'elle soit soigné aussi bien que possible. Et puis s'il veut se montrer sous son meilleur jour et qu'elle soit sûre qu'il a changé, il est préférable qu'il fasse vraiment bien son boulot.