thank god i'm not you | milo

Cette sensation de paresse, ce besoin inconsidéré de lenteur, cette fâcheuse tendance à traîner pour enfiler sa cape et attraper ses affaires pour s’engouffrer d’un pas mou au dehors. La flemme, voilà ce qu’elle avait. Et ca n’était ni un syndrome, ni une maladie. Jolene n’avait tout bonnement pas la moindre envie d’y aller, un peu comme ces enfants moldus condamnés à aller voir leur dentiste tous les mois contre leur gré. A la seule différence que son dentiste à elle était en réalité son tuteur médicomage qu’elle avait envoyé paître deux jours plus tôt en quittant la salle au beau milieu de l’heure – et sans vraiment s’excuser ou se justifier.

Elle aurait du réfléchir. Elle aurait du rester calme, conserver son sang-froid, ne pas céder à sa fierté ou à l’appel du pied lancinant de son impulsivité. Ces choses-là ne se contrôlaient pas aussi bien que la blonde l’aurait souhaitée et pour cause, chasser le naturel ne servait jamais à rien sinon à repousser l’échéance. Sauf que trop tard, la colère avait dominé son mental et régi ses réactions. Et cerise sur la tarte à la citrouille, aucun enseignant n’avait voulu entendre parler de son idée de changement de tuteur pour des raisons de conflits d’intérêts. C’était tout juste si on ne lui avait pas ri au nez et rétorqué que tous les patients ne demanderaient pas aimablement et patiemment à être soignés, que la vie était ainsi faite de challenges et d’opportunités et qu’il fallait prendre cette opposition de caractères comme un moyen d’ouvrir son esprit. Ben voyons. C’était elle l’étriquée du cerveau dans l’histoire ?!

Pas moyen d’avoir droit à un autre interne en guise de mentor, mais pas question de faire une croix sur son classement et sur ses résultats. Joe n’avait d’autre choix que celui de continuer à assister à ces tutorats. Après l’incident qui avait eu lieu, à n’en pas douter, les échanges avec Milo allaient être pour le moins … houleux. Le pressentiment amer de devenir prochainement une cible de choix pour l’étudiant qu’elle supportait le moins de toute la faculté magique était lourd et Joe hésitait encore à faire demi-tour quand elle poussa la porte de la petite salle de pause qui faisait office de bureau d’étude pour ces soixante minutes de torture psychologique à venir. La silhouette nonchalamment assise de l’interne, de trois ans de plus son aîné, l’accueillit directement. Dommage, lui était venu, songea à contrecœur Joe. « ‘Jour. » Elle avait presque arraché de sa propre bouche ce salut avorté tandis que la blonde laissait tomber son sac par terre dans un bruit sourd et qu’elle s’asseyait non sans laisser entrevoir une touche notable de mauvaise foi. Joe ne mettait pas vraiment du sien pour cette nouvelle heure qui s’annonçait sous le signe de la complexité.

Ses mirettes rencontrèrent le cadran parfaitement circulaire de l’horloge qui la jugeait moins sévèrement pour son retard que l’interne. En effet, elle arrivait quatre minutes trop tard – visiblement, quelqu’un dans cette pièce souffrait d’un penchant un brin psychorigide sur la ponctualité. « Ah. Désolée. » que la jeune fille bredouilla sans vraiment paraître convaincante dans ses excuses. Qui aurait accordé autant d’importance à un manquement de deux-cent quarante secondes, si ce n’était une personne qui n’avait aucune envie de vous voir ?

A bien y réfléchir, elle préférait de toute façon s’écraser sur ce coup-ci et le laisser dans son bon droit. L’autre aurait bien été capable de lui rétorquer que parfois les choses ne se jouaient qu’à une fraction de seconde et qu’il ne fallait pas espérer qu’on l’attende toujours bien sagement quand elle aurait une panne de réveil. Et puis de toute manière, même si Joe avait eu l’excuse la plus tangible et la plus sincère pour justifier le moindre faux-pas qu’elle commettait, celle-ci n’aurait pas eu plus de valeur aux yeux de l’écossais qu’une Chocogrenouille périmée au regard de son aîné.

Ses mains s’affairèrent à sortir de son sac les quelques livres, la plume et l’encrier dont elles servaient habituellement lors des séances de travail, ses gestes rythmés par le tic-tac de la pendule qui avait décidé d’être omniprésente aujourd’hui. Milo, lui, avait de son côté eu des journées plutôt chargées en lecture d’après ses dires et pour la blonde, cela ne lui disait rien qui vaille. Elle tentait de ne rien laisser paraître mais son pressentiment semblait se confirmer : il allait très clairement se montrer encore plus intransigeant qu’auparavant, et ce sûrement pour se venger de son petit coup d’éclat puéril. « C’est pas comme si j’avais le choix, tu es mon tuteur après tout. » répliqua la sang-mêlée d’un ton qu’elle voulut le plus neutre possible. Elle croisa les bras, les yeux plantés sur le bureau devant elle pendant un laps de temps nécessaire pour s’appeler au calme avant d’enfin se confronter aux pupilles de son aîné. Malheureusement, la tempête couvait encore chez elle. « J’imagine que les copies n’étaient pas à la hauteur du niveau requis ? Que les rapports étaient parfois mal rédigés ou brouillons, qu’il manquait des détails, ou encore que n’importe quel première année aurait fait mieux ? » Un peu trop sur la défensive, pas assez détachée à son goût.

Dans sa tête, défilaient déjà toutes sortes d’argumentations possibles pour s’opposer à lui alors qu’il n’avait encore rien dit. Certes Joe n’était pas Occlumens, elle n’aurait jamais l’exacte certitude de déterminer précisément l’opinion que Milo avait d’elle. Mais pour l’étudiante en médicomagie, il était clair qu’il la trouvait bien en deçà de ses attentes. Quant à son caractère, elle préférait ne pas imaginer ce qu’il en pensait. Elle n’arrivait pas à comprendre ce qu’elle avait pu faire pour renforcer cette impression au fil du temps, pas plus qu’elle n’avait trouvé à ce jour la clé pour mériter un brin de respect de sa part. Plus que de la mépriser, c’était bien souvent sa façon d’ignorer qu’elle pouvait être touchée ou même seulement affectée par ses remarques froides et chirurgicales dès lors qu’il décortiquait ses réponses, ou son absence totale d’amabilité envers elle. Ils n’avaient pas à devenir amis mais Jolene avait cru un peu naïvement avec le temps qu’il se dériderait, que tout ça finirait par l’intéresser. Apparemment non.

Elle attrapa le dossier sans douceur, ses lèvres balbutiant un « merci » qu’elle aurait largement aimé éviter d’avoir à prononcer. C’était sûrement un comportement excessif et gamin mais Joe était comme ça. Elle n’arrivait à passer au-delà de cette impression tenace qu’il se payait constamment sa tête et surtout, elle ne parvenait pas à comprendre comment ce type fonctionnait. De l’incompréhension naissait bien souvent et facilement la haine.

Imperturbable, il poursuivit son monologue sans se laisser démonter ; lui, au moins, il avait du sang-froid … Ou suffisamment de nonchalance pour ne pas être affecté par la vexation de sa cadette. Les sentiments d’autrui n’étaient pas vraiment un paramètre à prendre en compte pour lui. La suite n’avait pourtant pas fini de la surprendre. Ses yeux se décollèrent du pavé de parchemins qu’elle tenait entre ses doigts pour observer furtivement Milo, un peu comme un animal sauvage jaugerait le chasseur qui la tenait en joue. « C’était pas nécessaire. » Non, la blonde était bien en peine de reconnaître qu’il s’était donné un tant soi peu de mal pour la faire progresser avec cette relecture complète et ces exercices. Elle n’avait pas envie d’admettre qu’elle le jugeait peut-être un peu sévèrement et qu’après tout, même avec un caractère aussi exécrable que le sien, il n’en demeurait pas un des meilleurs internes – une chance qu’elle aurait du savoir saisir plutôt que de la piétiner comme elle le faisait actuellement.

Intérieurement bouchée bée, Joe n’était qu’à ça d’enfin faire un effort. De se faire violence mais surtout de s’étonner sincèrement et ingénument du compliment foutrement bien déguisé accordé par son aîné. Oui mais voilà, comme la dose de sympathie administrée à son égard avait du être trop forte, Milo s’était senti dans l’obligation de contrebalancer le tout avec un pique bien à lui. Et ce ne fut que ce qu’elle retint, bien docilement – bien trop facilement. « Une enfant ? » répéta celle qui avait un peu de mal à encaisser la réflexion.

Des défauts, elle en était bourrée et elle en avait conscience. Mais son infantilité n’avait jamais été quelque chose qu’on lui avait un jour reproché, d’ailleurs elle ne s’était jamais considérée comme une gamine – tout du moins jusqu’à ce qu’elle fasse la connaissance de Milo Hopkins. Là, l’accusation lui paraissait totalement injustifiée. Juste parce qu’elle avait quitté un peu trop tôt un jour où elle avait eu un peu moins de patience ? « C’est pas parce que j’ai trois ans de moins que toi que je suis immature, en fait. » Elle reposa le dossier sur le bureau dans un claquement sonore. « Et puis qui ramène sa petite copine comme le premier des adolescents prépubères pendant un cour tutoré ? On est pas ici pour se bécoter mais pour étudier, je crois. La vie privée, c’est au-dehors du travail. » Sa main gauche ouvrit fébrilement le feuillet du dossier, Joe s’imaginant très naïvement que le débat pouvait se clore sur pareille réplique.