say do you hear the distant drums | Annabel

Il est tard, et dehors, la neige tombe à gros flocons. Il a quitté le travail il y a un peu plus d'une heure, pourtant. Il aurait dû rentrer chez lui depuis belle lurette. Souvent, ses soirées s’enchaînent et se ressemblent ; il rentre chez lui, se prépare pour ressortir, et échoue après avoir mangé à la hâte dans un bar quelconque ou sur le canapé de Ted. Ce soir, il n'est pas repassé par chez lui, et ce n'est pas dans un bar quelconque qu'il s'est rendu, mais au Chaudron Baveur qui peine à se relever de l'attaque du nouvel-an. Cette dernière a laissé sur la peau de tous les sorciers non Mangemorts une empreinte indélébile de peur et d'appréhension. Les rangs du Chaudron sont plus vides que d'ordinaire - même les plus aventureux préfèrent se remettre chez eux. Et quelque part, Dirk les comprend, quand il y réfléchit bien.

Le problème, c'est qu'il n'y réfléchit pas vraiment. Il ne réalise pas encore tout à fait ce qu'il se passe. Il a déjà trop de choses à penser pour s’inquiéter de ce qu’il se passe. Il est convaincu qu’il s’en sortira, que le danger n’est si grand. Dumbledore est là pour les protéger tous, après tout – non ? Dirk lève une main hasardeuse pour commander une autre bierraubeurre, mais quand le serveur arrive à son niveau, il change d’avis. « Un pur-feu », il demande dans un haussement d’épaule. Il est installé au bar et il ne sait pas vraiment pourquoi une espèce de mélancolie bizarre le traverse, ce soir. Il hésite un instant à siffler son whisky et à transplaner chez lui, mais se ravise. Il n’a pas vraiment envie de faire d’effort, et pour la première fois depuis un certain temps, la perspective solitaire de son appartement l’angoisse un peu. Il préfère rester là.

L’attaque du nouvel an a laissé une Annabel boiteuse et encore un peu sous le choc, exaspérée d’avoir pu deviner les silhouettes de tant de Mangemorts sous ces capes sans rien pouvoir y faire de plus. Sa hanche a été touchée par un sort perdu, rien de bien grave, cela dit, en comparaison de toutes ces vies écourtées alors que la soirée aurait dû être à la fête. Ses journées au travail sont pénibles depuis l’incident, faisant la navette entre rescapés innocents et Mangemorts blessés dans l’attaque et toujours alités, alors Harper rumine. Sur ce qu’elle n’a pas pu faire autant que sur ce que l’Ordre a déjà fait, elle réfléchit à ces sortilèges qu’elle aimerait développer, aussi.

Elle transplane au Chaudron Baveur dès sa journée terminée. Les gens désertent le pub et Tom a besoin de soutien – tant moral que financier, ne nous voilons pas la face - autant qu’elle a besoin de whisky. S’occuper de ceux qu’elle a combattus quelques semaines plus tôt à peine est pénible. Ils sont de moins en moins à occuper les lits de St Mungo mais Annabel a passé ce dernier mois à grincer des dents, à appuyer un peu trop fort sur les plaies au moment de les désinfecter et à faire semblant de ne pas savoir qui sont les ordures dont elle doit s’occuper – son besoin d’alcool est tout à fait compréhensible.

Le chaudron baveur est presque vide, comme toujours depuis l’incident, mais une silhouette pas méconnue se tient au bar. Le petit cousin de Ted Tonks, gamin encore plus têtu et naïf que ce dernier. Annabel ne l’a pas vu souvent, mais elle l’a croisé quelques fois chez Ted où il semble passer une bonne partie de sa vie.

- Dirk Cresswell, lance-t-elle en arrivant derrière lui, passant son bras autour de ses épaules, on ne t’a donc jamais dit que boire en semaine, c’est le début de l’alcoolisme ? Après un sourire franc, elle appelle le barman : un pur feu pour moi aussi, Tom.

Il devrait sans doute rentrer chez lui – ou en tout cas, ne pas se balader seul, comme ça. Il est un Sorcier né-moldu, ce qui représente, à en croire son cher cousin Ted, la pire espèce pour ceux qui les combattent sans relâche. Il ignore si sa personne représente un intérêt suffisant pour qu'un Mangemort ne l’identifie comme tel une fois qu’il croisera son chemin, mais s’il y a bien une chose qui est certaine, c’est que ses jours finiraient sans doute par être écourtés si c’était le cas. Et maintenant qu’il travaille chez Gringotts et qu’il ne bénéficie plus de la protection de Dumbledore – ou plus comme avant, en tout cas – les enjeux sont un peu différents. Il a entendu parler de l’Ordre du Phénix, il sait ce qu’il s’y passe. Mais Dirk ne tient pas particulièrement à ce que qui que ce soit se mettre en danger pour lui, s’il est tout à fait honnête.

L’avantage, c’est que la situation actuelle lui fait un peu relativiser les liens rompus avec sa famille. Ou en tout cas, il se plait à le penser. Loin de toutes ces histoires de sorciers et de magie, au moins, ses parents s’en sortiront sans le moindre doute – et ils souffriront moi, s’il lui arrivait quelque chose.

Non ?

Dirk sursaute en sentant une main qui se glisse sur ses épaules. Presque aussitôt, sa main rejoint la baguette glissée dans sa ceinture ; il lui faut quelques secondes pour réaliser qu’il n’y a pas de menace et qu’il ne s’agit que d’Annabel, une jeune femme qui lui a été présentée par Ted, d’ailleurs. « Et toi, on ne t’a jamais dit de ne pas effrayer un homme seul en temps de guerre ? » il demande en relâchant le manche de sa baguette et en lui offrant un sourire. Tom apporte un deuxième whisky, et lui prend une gorgée du sien. « Je suis venu aider les finances. Mais tu as sans doute raison, c’est le début de l’alcoolisme – cela dit, si je peux me permettre, c’est pareil pour toi ».

Cresswell sursaute et Annabel ne peut s’empêcher de rire bruyamment. La métisse est une extravertie, faisant du bruit partout où elle met les pieds, la rendant très facile à repérer dans une foule où on aurait perdu sa bande d’amis. Elle n’hésite pas non plus à agir comme la meilleure amie du monde entier – à condition de ne pas s’affilier à Voldemort -, impliquant les bras passés autour des épaules de gens qu’elle connait à peine. Elle peut comprendre que ça puisse déranger Dirk, aussi elle ne tarde pas à le lâcher pour prendre place à côté de lui, les deux mains bien en place sur ses genoux.

- Tu peux te le permettre, Cresswell, ironise-t-elle avec un sourire narquois. Mais comme tu le dis si bien, on est en temps de guerre, et si je n’ai pas le droit à ma dose d’alcoolisme alors que certains ont tous les droits de débarquer dans un bar pour le mettre à sac, alors je ne comprends plus rien !

Sarcasme teinté d’une pointe de sel, Harper rajoute des couches au malheur récent. Que peut-on faire à part en rire, et que faut-il faire si on n’a pas le droit de rire de tout ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’elle accueille son whisky comme le messie, laissant couler le liquide brûlant avec soin dans sa gorge, avant de fouiller dans son sac et d’en sortir un paquet de cigarettes bien moldues.

- Un médecin et un banquier se saoulant à la santé de la guerre, on aura tout vu, continue-t-elle d’ironiser. Etrangement, la situation l’amuse beaucoup – ou du moins, ce serait le cas dans d’autres circonstances. Clope ? Propose-t-elle en tendant son paquet au jeune homme.

Dirk sourit un peu et acquiesce, songeant au nombre de vies qui ont été prises ce soir là. Lui, il est rentré tôt, accompagné d'une fille ramassée par hasard, comme bien souvent dans ces cas-là. Mais s'il avait passé quelques heures de plus, il se serait retrouvé en plein milieu de l'attaque, comme tous les autres. Dirk a eu peur, surtout pour Ted et Andie, parce qu'ils sont sa seule famille aujourd'hui - en tout cas la seule branche potable de sa famille. Il serait perdu s'il leur arriva quoi que ce soit. Pire, il serait dans un état de rage assez incroyable. Enfin, heureusement, l'attaque n'a volé personne de son entourage - et les dégats, s'ils existent, ne sont que réparables pour les gens qu'il connait. D'autres sont morts, et bien entendu, l'idée l'attriste. « C'est vrai, ça », il lance en levant son verre pour trinquer. « A l'alcoolisme, alors, celui qui défie les guerres dehors », il lance, amusé et sarcastique.

Dirk jette un oeil derrière eux pour constater avec tristesse que l'établissement ne se remplit pas. « Je suis venu pour essayer de peupler un peu. Et aussi parce que je n'arrive pas à m'enlever les images de l'attaque de la tête - alors que j'étais parti. J'y étais même pas, et pourtant, j'peux pas m'empêcher d'imaginer. C'est glauque », il murmure en soupirant. Comme un gosse effrayé et un peu traumatisé, sans doute. Un mec qui ne comprend pas tout à fait que c'est la guerre, même s'il parvient à le dire.

« Avec plaisir, oui, merci », il lance en hochant la tête. Il s'empare d'une cigarette qu'il allume d'un geste de baguette, avant d'imiter le geste pour l'aider, elle. « Tout va bien ? » il finit par lui demander. Il ne sait pas exactement qui a été blessé. Ted a juste pris soin de lui dire que leur entourage plus ou moins proche allait bien - physiquement, en tout cas. Moralement, c'est une autre histoire.

Annabel lève son verre et le claque bruyamment contre celui de Cresswell, trinquant à toutes les merdes qui arrivent dehors, à l’alcool et aux clopes qui les aident à surmonter la guerre. Certains des rares clients se tournent vers eux, visiblement choqués de tant de feinte joie de vivre alors que le temps est à la dépression et à la paranoïa. Harper les toise du regard, un par un. Personne ne pourra lui enlever le peu qui lui reste, et peu importe si son attitude est appropriée pour une médicomage. Les états d’âme du jeune homme – presque encore adolescent - face à elle lui confirment que la terreur est bien présente. Partout. Constante.

Elle hoche la tête en rangeant son paquet de cigarettes dans sa petite pochette magiquement transformée. Une longue bouffée plus tard, elle pose sa main sur l’épaule de Dirk et serre un peu, toujours trop tactile, dans un geste qui se veut rassurant.

- On est tous horrifiés et en colère, Cresswell. C’est une bonne chose que t’aies rien vu de tout ça, on n’aurait pas voulu. Ted a failli nous faire une syncope quand il ne t’a pas vu dans les décombres, cela dit, t’es parti sans rien dire. Et tu sais comment il est…

Sourire qui se veut rassurant, amusé. Elle cherche l’humour lorsqu’il n’y en a pas, fume sa cigarette en silence et se décide enfin à répondre à la question de Dirk en hochant la tête.

- Ca va… Je boite encore un peu, rien de bien grave. Et les Mangemorts hospitalisés commencent à me donner des envies de torture, ils nous narguent ouvertement et on n’a le droit de rien faire sinon la fermer et les soigner. Je rêve du jour où je verrai toutes ces ordures embrassées par des détraqueurs.

Radical, solution un peu extrême. Si Annabel a fait ce choix de carrière pour être plus utile sur un champ de bataille déserté par les vainqueurs, il n’est pas toujours facile de garder neutralité et sang-froid dans des conditions comme celles-ci.

- Mais on s’y fera, hein, Cresswell ? On va cultiver notre alcoolisme et serrer les poings !

Dirk regrette de ne pas avoir été présent sur la scène. Peu importe ce que les autres en disent, il aurait aimé pouvoir se battre aux côtés de ses amis, du peu de famille qu'il lui reste, pour tenter de changer un peu les choses. Pas que son aide aurait été particulièrement précieuse, simplement, il ne trouve pas normal que son cousin se soit fait attaquer tandis qu'il n'était pas là pour l'aider. Pour se dresser contre un agresseur dont il ne mesure pas vraiment la portée, lui qui a parfois toujours l'impression de parcourir les couloirs rassurants de Poudlard. Dirk ne s'est pas encore fait à l'idée qu'il n'était plus un élève comme les autres, que le danger grondait dehors et qu'il était notamment pour lui, pour les gens comme lui, et comme Ted, aussi, ceux qui, selon certains Sorciers, n'ont rien à faire à Poudlard ou au Chaudron. « Tu m'enlèveras pas la culpabilité de pas avoir été là, cela dit, mais merci », il précise d'un haussement d'épaule. « Ted a une femme, et une gamine. Bordel, tu te rends compte ? Ils viennent dans nos bars pour tenter d'assassiner des pères de famille ». Des pères de famille qui sont parfois mariés à des Sorciers de Sang-Pur, d'ailleurs. Andromeda représente un exemple assez rare de progrès des mentalités - et un danger supplémentaire pour son cousin. Mais peu importe.

« Je comprends pas que Sainte-Mangouste cautionne les soins », il réplique en avalant une gorgée de son verre. Bientôt, on leur demandera de payer de leur personne pour pouvoir soigner ceux qui les détestent au point de les exterminer un par un.

« Je suis pas sûr de m'y faire un jour. J'ai déjà du mal à réaliser ce qu'il se passe, alors... » Et puis, Dirk n'est pas très doué pour se projeter, ou pour faire des sacrifices. Il n'est pas très doué pour se priver. Il a envie de sortir, comme un jeune, d'ignorer le danger qui fait rage. De profiter de la vie sans avoir peur d'être dans les rues. Personne ne pourra lui enlever tout ça. « Est-ce qu'ils sont plus nombreux que nous ? » il finit par demander en tirant une taffe sur sa cigarette pour se donner le courage d'écouter une réponse qu'il sera de toute façon infichu de comprendre, de prendre en considération.

- Je sais, soupire Harper, le nez dans son whisky.

Il n’y a rien d’autre à dire. Ces enflures s’infiltrent partout. Le ministère de la magie grouille de mangemorts présumés qui n’attendent plus qu’à être décagoulés, innocents avant d’être jugés coupables alors que leurs noms ne sont plus un secret pour personne. Le soir du nouvel an, ils étaient entrés au chaudron baveur pour assassiner des citoyens lambdas. Tout ce qui bougeait. À croire que leur bataille contre le sang impur n’avait pas plus d’importance que celle du crime de sang-froid, gratuit. La main d’Annabel quitte l’épaule du jeune homme, aucun geste, aucune parole ne sera assez rassurante aujourd’hui. L’heure est au deuil, à la colère et à l’impuissance.

Que Sainte-Mangouste cautionne les soins n’est pas si étonnant. Un hôpital se doit d’être neutre, tout comme son personnel. Ne pas être capable d’en faire preuve remet au contraire le choix de carrière d’Annabel en cause, la métisse se demandant de plus en plus souvent s’il ne serait pas préférable de changer du tout au tout au lieu de continuer à subir. Et à ne pas faire honneur au métier qu’elle a choisi. L’idée de devenir auror la séduit parfois, celle d’ouvrir une clinique clandestine en parfait bénévolat et destinée aux membres de l’ordre et à la résistance, aux innocents, également. Mais il faut gagner sa vie. L’utopie n’a pas sa place dans ce monde.

Elle hoche la tête, jetant un regard grave à Cresswell. Il est si jeune, encore si naïf. La guerre le fera grandir trop vite, malgré lui, le rendra peut-être encore plus amer qu’elle et tous ceux qui ont tout de même eu droit à leur adolescence. Elle baisse la voix, la réduit à un murmure :

- Oui, ils le sont. Ils ont envahi le Ministère, ça les rend d’autant plus… intouchables.

Une grimace de dégoût déforme le visage de la jeune femme. Elle déteste ce qu’elle vient de dire, peste intérieurement de ne rien pouvoir faire de plus, de n’avoir pas de discours rassurant et préemballé à servir tout cuit au jeune homme. Son regard s’assombrit.

- Je voudrais te dire que ça va aller, Cresswell, mais je ne m’appelle pas Dumbledore et il faut faire attention à toi. Ils sont partout. Et toi en particulier, à Gringotts, tu dois en croiser tous les jours. Du genre riche sang-pur imbu de sa petite personne. On est en guerre, alors… apprends à t’entourer, à être sur tes gardes, à éviter les folies. Un rire sans joie vient la secouer lorsqu’elle se rend compte de son discours. Bon sang, on dirait une vieille aigrie, faites-moi taire.