fabian | oh well, what a surprise, look who's here

La subtilité était un art dans lequel Nina versait au quotidien, entre sourires polis mais froids et conversations en apparences futiles mais ô combien enrichissantes. Et, malgré tout le mal qu'elle se donnait pour l'en empêcher, contre toute attente, Fabian Prewett mettait quelque peu à mal son habituelle finesse. Il n'y avait rien de subtil dans cette fille qu'elle regardait dans le miroir depuis une bonne minute déjà. Après la journée qu'elle avait eu, n'importe qui serait rentré pour oublier le monde quelques heures, dans un bouquin ou sous les couvertures. Nina, elle, avait tâché de mettre de côté son déjeuner avec Dolohov – instructif et distrayant, jusqu'à un certain point seulement – et l'après-midi de paperasse profondément ennuyante qui avait suivi pour entamer sa deuxième journée. Jusqu'à présent, il s'agissait surtout de traîner ici et là, au Chaudron Baveur principalement, et d'écouter. Bon nombre de sorciers étaient si bavards et imprudents après quelques verres que c'en était ridicule. Et, évidemment, ça lui facilitait grandement la tâche. Le problème, c'est qu'elle n'était pas rentrée se repoudrer le nez et se changer juste pour fouiner, non. Ou, du moins, pas uniquement et c'était précisément ça, ce manque total de subtilité, qui la dérangeait. Elle en faisait un peu trop, quiconque d'un tant soit peu futé s'en apercevrait. Et Prewett n'était pas idiot, sous ses airs d'idéaliste illuminé.

Elle soupira et, d'un coin de mouchoir brodé à ses initiales, estompa son rouge à lèvre avant de desserrer son chignon. Avoir l'air de sortir directement du bureau sans pour autant sembler négligée, là encore, tout un art. Elle ne s'expliquait pas vraiment cette envie de plaire – de lui plaire mais mieux valait rester vague, pour son propre bien – n'en avait pas spécialement envie. Il compliquait déjà suffisamment ses plans comme ça, avec ses sourires indulgents et ses grandes tirades qui puaient l'espoir et la naïveté. Quel idiot. Elle en avait presque de la peine mais, après tout, chacun était maître de son destin. Ou pouvait tenter de l'être, selon sa naissance. Nina estimait avoir eu un peu de chance, malgré tout. Pas assez pour être pleinement satisfaite mais qui pouvait se vanter de l'être de toute façon ? L'une ou l'autre de ses sœurs, peut-être, mais c'était une autre histoire. Il fallait d'ailleurs qu'elle leur rende visite, songea-t-elle en nouant son écharpe autour de son cou. Des visites qui rimeraient assurément avec thé et pâtisseries, certainement broderies et commérages aussi. Et si Nina se laissait facilement entraîner à ce petit jeu-là, elle n'avait décidément pas le temps pour ça, pas en ce moment. Surtout pas maintenant.

Bien déterminée à mettre son plan en action – mainly bumping unexpectedly into Fabian – elle transplana à une bonne centaine de mètres du bar et, après avoir épousseté cape et robe, elle se mit en chemin, sac battant contre sa hanche et vent lui fouettant le visage. C'est donc les joues déjà fort roses et plus décoiffée qu'elle ne l'aurait souhaité qu'elle passa la porte du Chaudron Baveur. Subtile, Nina pouvait l'être, vraiment, et elle avait la ferme intention de jouer la carte de la surprise si, par hasard, Prewett se trouvait dans les parages. Et, évidemment, elle garderait pour elle sa déception si ce n'était pas le cas. Après tout, il y aurait bien un imbécile bien pensant prêt à lâcher des informations utiles devant un énième verre de whiskey Pur-Feu et un joli sourire.

Après leur dîner, Fabian et Nina n'avaient pas vraiment eu l'occasion de se revoir. Et pour être tout à fait honnête, le sorcier en avait conclut qu'il valait très certainement mieux ne pas chercher plus loin. Malgré une Yaxley doucereuse et loin d'être désagréable finalement, la tournée des bars moldus avait très certainement eu raison d'elle et de ses nerfs de sang-pure suprémaciste. Supporter tout ce qu'on déteste pour ne pas griller sa couverture, n'avait probablement rien d'agréable. Fabian n'aurait pas su le dire, il ne se serait jamais lancé dans un tel mensonge. Il ne s'était pas vraiment attendu à la recroiser quelques semaines après cela dit. Lui même sortait d'une énième réunion de l'ordre qui avait finit en beuverie, jusque là rien d'anormal. Les soirées qui finissaient ainsi étaient aussi fréquentes que les visites de Ted Tonks à St Mungo, donc très régulières et très souvent agitées. Sa démarche en revanche ne l'était pas elle , normale, et sous l'emprise d'une quelconque substance donc, il ricanait devant quelques volutes de fumée rose avec lesquelles il dessinait avec sa baguette. Lorsqu'il remarqua Nina, il lui adressa un sourire éblouissant en lui offrant une rose qu'il avait fait apparaître pour l'occasion. « Salut Yaxley, quel plaisir de te croiser ici. » Il lui adressa un clin d'oeil amusé. Le Fabian sous emprise de plantes magiques était bien plus réceptif à cette nouvelle alchimie avec la blonde. Il l'avait ressenti un peu auparavant, mais pas assez pour cesser d'être sur ses gardes avec elle, ce qui aurait eu tout l'air d'une mauvaise idée. Autant dire qu'il était bien loin de ces considérations lorsqu'il avait fumé un joint ou deux et bu suffisamment de butterbeers pour oublier son deuxième prénom. Par chance, il était souvent suffisamment high pour oublier qu'il était vraiment pas comme son frère dans l'art de la drague.

Difficile de manquer Prewett, avec sa démarche bancale et son regard brillant. Il n'était de toute évidence pas dans son état normal. Parfait, Nina n'aurait pas pu rêver mieux. Elle s'arrêta quelques secondes sur la rose qu'il lui tendit, un peu impressionnée par son aplomb. Toutefois le rôle dans lequel elle se glissait au quotidien reprit vite le dessus et elle lui rendit son sourire, se saisissant de la fleur. « Plaisir partagé, Fabian » glissa-t-elle, traînant un peu plus sur son prénom. Un instant, elle imagina la mine qu'afficherait sa mère si elle la surprenait ici, à s'encanailler avec un Prewett. Quel scandale, quel échec surtout pour celle qui avait si bien su marier toute sa progéniture. Et, évidemment, cette idée-là la ramena fatalement à Dolohov,  association mentale qui précipita la proposition qui franchit ensuite ses lèvres. « Je t'offre un verre ? » Un peu trop entreprenante, peut-être, aussi Nina prit-elle un instant pour retrouver ses esprits – ou plutôt pour virer son prétendant du sien. « A moins que tu ne préfères courir les bars moldus ? » lança-t-elle, haussant les sourcils, image même de l'innocence. Elle n'était pas certaine de vouloir réitérer l'expérience mais si elle voulait des informations, il valait certainement mieux pousser Prewett vers la boisson, quelle qu'elle fût. Quelques battements de cils, un verre ou deux – ou quatre, il semblait plutôt robuste dans l'ivresse – et elle avait ses chances d'en faire ce qu'elle voulait. Après tout, Fabian Prewett n'était pas si différent que ça, si ?

Fabian n'était jamais dans son état normal, c'était quelque chose à savoir sur lui. Il ne consommait pas forcément de mandragore en allant au travail, mais il s'en remettait la plupart du temps à coup de grands cafés et de potions anti gueule de bois. Les réunions de l'ordre étaient ce qu'elles étaient, l'occasion de boire plus encore, et leur régularité ne faisait qu'affirmer le penchant du rouquin pour l'alcool, moldu comme sorcier d'ailleurs. Il adressa donc un sourire éblouissant à Nina Yaxley, un sourire qu'il aurait probablement dû garder pour lui au vu de ce que cette relation lui réservait. Rien que son nom aurait dû lui indiquer de se méfier, mais il ne le fit pas pourtant. Traître à son sang lui même, son esprit embrumé par la Mandragore le laissait s'imaginer que certains changements idéologiques pouvaient se produire avec un peu de bonne volonté, et de bons sens. Yaxley lui semblait différente, une erreur de jugement qui lui coûtera cher pour le coup. « Je préfère courir les bars moldus, en bon traître à son sang on se refait pas. Mais je ne crois pas être en état de préserver le secret magique Yaxley. » Il haussa les épaules amusé et ajouta à son intention. « Va donc pour un verre, même si je devrais définitivement arrêter les mélanges. » C'était ce qui le perdait à chaque fois, comme beaucoup de gens finalement. En cette période d'insécurité et de défiance cela dit, décrocher de la réalité lui faisait le plus grand bien. Fabian ne pouvait pas se ronger les sangs constamment, sa nature nerveuse l'aurait mis plus bas que terre en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire si il n'avait pas testé les médecines douces. Heureusement, la mandragore restait une alternative appréciable contre ce genre de problème.

Il était charmant et il le savait certainement très bien, sinon pourquoi ce sourire éclatant ? Ou peut-être que l'abus des substances dont son manteau était certainement rempli décuplait son assurance, Merlin seul savait. Elle haussa un sourcil moqueur, oubliant l'espace d'une seconde son masque d'ingénue, puis battit des cils, par réflexe. Inutile, certainement. Il savait très bien qui elle était, il devait se douter qu'elle n'était pas aussi innocente qu'elle souhaitait le lui faire croire. Et pourtant, il ne fuyait pas sa compagnie, au contraire. Prewett semblait décidé à être honnête, la prenant un peu au dépourvu. Traître à son sang. L'expression ne la surprenait guère, elle l'entendait régulièrement dans son entourage, mais, curieusement, elle n'était pas si préparée que ça à un tel élan de sincérité. Bien, si c'était l'attitude qu'il avait choisi d'avoir, elle n'allait certainement pas se faire plus bête qu'elle ne l'était pour s'attirer ses bonnes grâces. « Et on ne voudrait pas que le Ministère s'occupe de ton cas si jamais tu devais agiter ta baguette devant des Moldus, pas vrai ? » Les compagnons du Seigneur des Ténèbres s'en chargeraient bien assez tôt mais elle garda cette réflexion pour elle. Tout clairvoyant qu'il était, même sous l'influence de mandragore, Prewett n'était pas le premier imbécile venu. Il se murmurait, ici et là, qu'il donnait du fil à retordre à certaines de ses connaissances et ce n'était pas pour lui déplaire, d'une certaine manière. Nina Yaxley n'était rien sinon ambitieuse et s'occuper de pareil challenge l'intéressait grandement. « Un whisky ? » proposa-t-elle en s'installant au bar, le défiant clairement du regard.

Fabian ricane, oh il se doute bien qu'elle aimerait très certainement que quelqu'un s'occupe de son cas, mais il garde ce petit commentaire pour lui. Inutile d'aller taquiner Yaxley tout de suite, le but étant qu'elle maintienne son invitation. Si Fab écoutait son frère, il éviterait sans doute de fraterniser avec les mangemorts présumés, mais la mandragore et l'alcool se mariant avec délice dans son esprit embrumé, il préfère chercher les ennuis comme tout gryffondor qui se respecte. « Ah le ministère, comme j'aime cet endroit. Je ne crois pas qu'ils soient le mieux placés pour me faire la morale si tu veux mon avis. Certains de ses membres n'hésitent pas à utiliser leur baguette non pas devant les moldus mais sur eux. Difficile de les prendre au sérieux... » Petite pique au passage, Fabian pense évidemment à Dolohov et cet enfoiré de Lucius Malfoy. Oh et Corban Yaxley tiens justement. Sa petite natte fait l'objet de pas mal de discussion avec Dorcas. « Un whisky, oui pourquoi pas. Retournons donc au Chaudron. » Fabian n'aura pas quitté l'endroit bien longtemps. Gid le jugera définitivement pour ça, lui qui est au courant de tous les ragots en moins de temps qu'il n'en faut pour les faire les circuler.

Elle s'efforça de garder le sourire, de ne surtout, surtout, surtout pas se laisser perturber par les accusations peu subtiles de Prewett. Si elle n'était pas si hautement placée dans la hiérarchie qu'elle l'aurait désiré et n'avait pas la responsabilité ni l'honneur de la Marque des Ténèbres, elle savait se faire discrète et persuasive lorsqu'il s'agissait de récolter des informations utiles, d'un côté comme de l'autre d'ailleurs. Elle hocha la tête, la mine pensive, sans relever. Ce n'était pas le moment, si elle voulait l'embobiner correctement. « Retournons ? » Elle laissa échapper un bref éclat de rire cristallin, performance si bien répétée qu'elle en semblait presque spontanée. « C'est donc à ça que toi et tes petits camarades occupez vos soirées ? A vider les caves du Chaudron ? se moqua-t-elle d'un ton léger. Et vous vous étonnez que personne ne protège les Moldus ? » ajouta-t-elle après un instant de réflexion. Il n'était pas dupe de toute façon et il avait très certainement déjà croisé la route de son charmant cousin ou de l'un de ses camarades.

Fabian s'amuse, ce n'était que la pause mandragore, et air pur. Le médicomage sait qu'il est tout à fait possible de consommer à l'intérieur de l'établissement, mais il accompagnait un membre de l'ordre à l'extérieur avant de tomber sur Nina, raison de plus pour aller se rasseoir et commander une petite bierraubeurre tout en enquêtant sur la fille Yaxley. Fabian n'est pas dupe sur le petit jeu de la sang pure, et tant que Gideon ne lui pète pas un énorme câble dessus, il compte bien s'amuser de la situation. Le fait qu'elle lui adresse la parole et supporte leur petites escapades dans les bars moldus, sans esquisser d'expression trop dégoûtée prouve qu'il y a probablement quelque chose à faire avec ele. Fabian est un idéaliste, il croit stupidement que les gens vont se réveiller, peu importe leur statut de sang, ce qui est en soi très dangereux. Ce qui est en train de se passer ici au Royaume-Uni remet beaucoup de choses en question, pousse les gens à épouser des valeurs beaucoup plus extrême que le racisme ordinaire qui a toujours courru au sein des familles de sang-pur britanniques. Il ne peut pas s'empêcher de penser que les filles comme Nina Yaxley n'ont pas forcément envie qu'un lord autroproclamé vienne bouleverser leur quotidien. « On peut tout à fait faire les deux en même temps, c'est ce qui s'appelle avoir la classe Yaxley. » Fabian ricane. « Vu ce qui nous attend, fumer un peu de mandragore avec des gens fiables est plus qu'une nécessité. Les choses sont loin de s'arranger... »

L'assurance de Prewett était, certes, charmante et vaguement attendrissante mais aussi déstabilisante. Troublée, bien plus qu'elle n'était prête à l'admettre, Nina préféra se détourner un instant pour faire signe au barman. Elle savait qu'il n'était pas très prudent de boire en si compromettante compagnie mais rester totalement sobre n'était pas non plus une option, pas quand il était déjà si suspicieux. Une telle audace, doublée par cette franchise incisive qu'il lui servait, n'était guère l'attitude à laquelle elle s'était attendue. Bêtement, Nina était parvenue à se convaincre que Prewett n'avait rien de bien différent des gens qu'elle croisait au Ministère et dans les salons qu'affectionnait tant sa mère. Qu'il n'était pas si futé que ça, qu'il la traiterait avec la même déférence hypocrite que la plupart des sorciers qu'elle côtoyait. Grossière erreur, manifestement. Elle allait devoir revoir sa stratégie mais pour l'heure, il était temps de boire. Elle se retourna finalement vers Fabian, l'air un rien dubitative. « La classe, bien sûr » commenta-t-elle, clairement pas convaincue. Ils signaient plutôt leur arrêt de mort, avec de telles méthodes. « Et pourtant, vous continuez de lutter, c'est... » Stupide ? Oui, clairement. Imprudent ? Il n'y avait plus aucun doute là-dessus. « Honorable, j'imagine » finit-elle par dire, fronçant le nez. Elle se demanda l'espace d'une seconde si ce petit commentaire remonterait aux oreilles du Lord ou de ses partisans. Dolohov, peut-être ? Elle esquissa un sourire, amusée par l'idée. « Mais l'honneur ne sert pas à grand-chose une fois mort, tu ne crois pas ? » ajouta-t-elle, reportant son attention sur leurs verres qui arrivaient.

« La classe oui, exactement Yaxley. » Fabian ricane tout en s'amusant avec sa baguette d'un air distrait. Le Prewett n'a aucun mal à imaginer ce que peut bien penser une fille Yaxley de sa lutte pour la liberté, mais il n'en reste pas moins convaincu par ses idéaux. Le problème avec ces gens là, c'est qu'ils n'ont rien à perdre à rester plus ou moins neutres, tout en fréquentant des ordures comme Dolohov ou Malfoy, alors évidemment toute résistance leur paraît probablement superflue, une perte de temps même. Le mariage de Molly avec un Weasley a cependant retiré toute possibilité à Fabian de se complaire dans son statut de sang pur. Si certains son prêts à aller jusqu'à renier leur famille pour une idéologie vielle de mille ans, d'autres choisiront toujours leur famille par rapport à tout le reste. C'est peut être une question d'honneur, mais l'honneur et les Gryffondor sont un mariage d'amour. « C'est adorable de t'inquiéter pour moi ceci dit, mais tu connais les Gryffondors... Tout l'inverse de ta maison lorsqu'il s'agit de se battre pour ses idées. Je crois que je suis une cause perdue. Je peux mourir en paix, j'aurais sauvé plus de vies que je n'en aurais ruiné, et tout ça me va très bien. Peut être même que mes neveux survivront à cette guerre grâce à nous, ça vaut le coup d'essayer en tout cas ? » Il s'installe au comptoir et commande une boisson. « Et sinon, quand est-ce qu'on se refait cette pizza ? Tu avais apprécié dans mon souvenir, et tes copains sang-pur sont pas très branché cuisine du monde... » Fabian la taquine en se roulant un énième joint de mandragore.

« Moi, m'inquiéter pour toi ? » Elle se fendit d'un rire mesuré, presque sincère. Ce petit jeu l'amusait un peu trop. « Je n'irais pas jusque-là mais si ça te fait plaisir » concéda-t-elle avec un geste de la main un peu trop énergique pour la nonchalance qu'elle visait. Même s'ils semblaient s'accorder sur une certaine franchise, Nina ne pouvait pas se permettre de se laisser aller. Elle avait été élevée dans l'idée qu'il fallait absolument surveiller ses propres faits et gestes, mesurer ses mots et ses regards pour ne pas attirer l'attention, ne pas susciter de questions. Et, à terme, évidemment, atteindre ses objectifs. Nina ne perdait pas de vue les siens, d'ailleurs, mais il était parfois grisant de les oublier un instant. Le problème, c'est que Prewett, qu'il en fût conscient ou non, semblait la pousser loin, très loin de son but. Elle se sentit rougir et baissa les yeux, préférant se concentrer sur la mandragore qu'il roulait d'une main experte – pas très étonnant quand on connaissait le personnage. « Mh ? La pizza ? » répéta-t-elle, sans comprendre d'abord. Ah, oui. Oui. Elle s'éclaircit la gorge, un sourire glacial éclairant son visage. « C'est intéressant, cette façon de dénigrer mon mode de vie tout en m'invitant à sortir, tu sais vraiment parler aux femmes Prewett, je suis impressionnée » Elle contempla son verre, eut un regard pour la porte du bar qu'ils venaient à peine de franchir puis se tourna à nouveau vers Fabian. « Mais tu as de la chance, je n'ai pas dîné. On y va ? » C'était plus direct qu'elle n'avait l'habitude de l'être et sa mère aurait sans doute piqué une vive colère devant un tel comportement mais Nina n'était pas certaine que la méthode doucereuse et sournoise fonctionnerait sur Prewett. Il fallait essayer autre chose et elle était tout à fait disposée à tester de nouvelles pratiques. Littéralement.

Fabian ricane, probablement qu'elle se fout de lui comme beaucoup des sang-pur du côté vert de la force, mais il ne s'en formalise pas. Ce petit jeu lui plait, même si il se sent tout de même coupable. Inutile de dire que ses amis lui remonteraient les bretelles si il le surprenaient en si mauvaise compagnie, mais Fabian ne peut pas s'empêcher de taquiner Yaxley, peut être parce qu'il a l'intime conviction qu'il y a quelque chose à tirer de cette relation. Ils passent du bon temps tous les deux, s'amusent, ce n'est pas vraiment comme si le roux lâchait des informations confidentielles à la Serpentard. Ce serait bien mal le connaître. Il entend cependant la voix de Dorcas bien clairement dans sa tête, malgré la mandragore. Si c'est une mauvaise idée, il se jette dedans. Il a faim, et la pizza elle semble une très bonne idée. « Je ne sais pas parler aux femmes, c'est un fait. Mon frère est un peu meilleur à ce jeu là, mais il ne sait pas les revoir, ce qui est tout de même dommage. Moi je t'invite à manger des pizzas, parfois il faut se contenter de ce qu'on a. » Fabian lui adresse un magnifique sourire, la mandragore lui a ouvert l’appétit. « Allons-y. » En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils sont dans une petite pizzeria très kitch et grouillante de moldus. De quoi ravir Nina.

Se contenter de ce qu'on a. Bien sûr, comme si c'était la philosophie de Nina. « Ha, ha, ha » lâcha-t-elle, glaciale. Offensée par une telle proposition ? Peut-être un peu, sur le principe. Si elle avait voulu se contenter du peu qu'elle avait, comme le disait si bien Prewett, elle se serait mariée dès sa sortie de Poudlard, à l'un ou l'autre des bons partis que ses parents avaient en tête à l'époque au lieu de résister pour protéger son indépendance. Elle serait certainement mère de famille à l'heure actuelle, dame respectable qui souriait poliment aux plaisanteries de son mari et n'aspirait qu'à être l'épaule rassurante sur laquelle ce type, sans doute très insipide, pourrait se reposer. Nina voulait plus que ça. Plus que de belles paroles, plus qu'une jolie façade. Il lui faudrait s'y résoudre un jour, elle en avait conscience, mais pour l'heure, elle se contenterait d'une pizza et d'un traître à son sang, puisque c'était ce dont elle avait besoin pour parvenir à ses fins.

Elle réprima un ricanement moqueur lorsqu'ils transplanèrent, sans pouvoir tout à fait retenir un haussement de sourcils hautain. Mais aux grands maux les grands remèdes, non ? Ce n'était pas ça que disaient les moldus ? « Charmant » lança-t-elle, faussement enthousiaste. Elle n'essaya même pas de sembler convaincante, c'était peine perdue. Elle savait qu'il la testait, il savait sans doute qu'elle le savait et elle savait qu'il savait qu'elle savait. Ou quelque chose comme ça. Jouer franc jeu était curieusement rafraîchissant, du moins avec le peu d'honnêteté qu'elle s'autorisait. « Je veux prendre la même chose que la dernière fois, exigea-t-elle, tentant d'ignorer les moldus bruyants qui les entouraient. Avec le poulet et les, le, l'ananas ? » fit-elle, fronçant le nez. Le souvenir de cette première expérience remontait doucement à la surface, tant dans son esprit que sur ses papilles. Et, peut-être, oui, que tous les moldus n'étaient pas à mettre dans le même chaudron. Nina se sentit rougir, imaginant son grand-père, si austère, si catégorique, qui avait tant répété que même le meilleur d'entre eux ne valait rien. Mais après tout, le patriarche des Yaxley n'avait sans doute jamais goûté une pizza de toute sa vie.

Il n'y avait rien de normal à toute cette situation. La guerre, les idéologies contraires et les effusions de sang. Le temps d'une soirée, Fabian aurait bien aimé prétendre que tout allait bien, dîner avec une Yaxley et simplement apprécier une pizza sans se préoccuper de ses fréquentations et de ce qu'elles pouvaient impliquer. Il n'était pas dupe, mais il essayait de prouver quelque chose à Nina Yaxley. Si il pouvait le lui prouver à elle, alors cela signifiait que tout n'était pas perdu pour tous ces gens qui vivaient dans la peur, ou suivaient gentiment la trace de leurs ancêtres de sang pur sans se questionner. Les fanatiques n'étaient pas les plus nombreux, mais personne ne faisait grand chose pour les arrêter en dehors de leur petite bande de tête brûlées. Lorsqu'il y pensait Fabian s'étonnait presque d'avoir survécu trente ans. Toujours était-il qu'il que malgré son cynisme occasionnel, il parvenait bien mal à cacher son idéalisme. La bataille entre ces deux éléments de sa personnalité penchait souvent en faveur de l'idéalisme. Si personne ne se donnait la peine d'y croire, il n'y avait pas beaucoup de bonnes raisons de se battre de toute évidence. Son frère ne comprendrait sans doute pas qu'il pousse l'humanisme aussi loin, qu'il se mette en danger de cette manière en fréquentant une Yaxley de la sorte, mais Fabian n'avait pas choisi la carrière de médicomage pour rien, il voulait pouvoir faire la différence pour les cas les plus désespérés. Il avait besoin de croire que c'était possible. Ca ne l'était pas toujours. « Tu sais que c'est un choix très critiquable pour les moldus Italiens ? Quoi que techniquement on peut mettre tout ce qu'on veut sur une pizza. » Il lui adressa un sourire amusé et décida d'enquêter discrètement en parallèle. « Le mélange des cultures, c'est bien aussi. Pas forcément du goût de ta famille, ni d'une partie de la mienne d'ailleurs. » Fabian avoue. Tous les Prewett ne sont pas aussi tolérants que sa fratrie. Sa grand mère aurait probablement préféré qu'il fasse profil bas et épouse une Yaxley par exemple.

Difficile de prétendre qu'elle était tout à fait à l'aise dans ce genre d'endroits. Déjà parce qu'une partie d'elle-même était vaguement indignée de se retrouver au milieu de tous ces moldus, dans cet établissement qui, certes, avait pignon sur rue mais aurait eu bien besoin de quelques coups de baguette. Ou de balai, plutôt, ha. Elle s'était apprêtée, oui, mais pas vraiment pour atterir ici. Sa cible était là, ce qui la consolait un peu, mais Nina ne comprenait pas comment Prewett pouvait avoir l'air si décontracté. N'avait-il donc pas peur que quelqu'un les pointe du doigt ? Ou, mieux encore, que l'un de ses naïfs camarades les aperçoive. Ou l'Ordre était-elle hypocrite au point de ne pas fréquenter de moldus non plus ? Elle retint un ricanement à l'idée, reportant son attention sur le sorcier à ses côtés, visiblement décidé à la pousser dans ses retranchements. « Je me moque bien de ce que pensent les Italiens » répliqua-t-elle, relevant fièrement le nez. Et, surtout, de ce que les moldus pouvaient bien dire de ses choix culinaires mais elle ne se lancerait pas dans ce débat-là. Fabian l'attendait certainement au tournant, plein de bons sentiments et de condescendance. Elle connaissait le discours et n'en voulait pas. Ce n'était pas pour une gentille petite leçon de morale qu'elle s'était préparée. Et, sans même qu'elle ait fait la moindre remarque, here it was. La fin la surprit cependant et, intriguée, elle chercha son regard avant d'opter, maladroitement, pour la moquerie. « Quoi, tu veux dire que la tolérance et l'amour du moldu ne sont pas des valeurs familiales chez les Prewett ? s'écria-t-elle, une main sur le coeur. Je te préviens, si tu m'annonces ensuite qu'on a essayé de te marier à une gentille petite sang-pur et de te forcer à avoir une tripotée d'enfants pour assurer la lignée, je ne te croirai pas » Le ton sonnait faux. Un peu amer peut-être ? Pourtant, c'était exactement ce qu'elle avait été conditionnée, elle, à vouloir. Clairement ses parents avaient commis quelques maladresses dans son éducation. « Je vois clair dans ton petit jeu, tu sais. N'essaies pas de me faire croire qu'on a été éduqué de la même manière, ça ne prendra pas. Il n'y a qu'à regarder tes fréquentations, ajouta-t-elle avec un bref mouvement de la main pour désigner ce drôle de restaurant. Il n'y avait pas plus, je ne sais pas, plus élégant ? Je ne crache pas sur leurs... pizzas, d'accord, mais toute cette décoration laisse à désirer. Je suis sûre que même les moldus ont du goût et- » Elle s'interrompit dans un soupir, fermant les yeux. Comment ruiner tous ses propres efforts en quelques mots, un guide qu'elle pourrait certainement écrire et écouler à un bon nombre d'exemplaires, si toutefois ça n'avait pas déjà été fait. « Désolée mais j'ai sincèrement du mal à imaginer que votre grande bonté à toi et toute ta joyeuse famille sorte de nulle part » lâcha-t-elle finalement, clairement amère cette fois. L'enviait-elle un peu ? Peut-être. Il avait le bon rôle, après tout, le brave sorcier au coeur vaillant, prêt à aider n'importe qui et à guider les âmes perdues dans le droit chemin. Tss, crétin de Gryffondor.

Fabian lève les yeux au ciel lorsque Nina lui fais bien savoir qu'elle se fiche de ce que pensent les italiens. Évidemment qu'elle s'en fiche, sortir du Royaume-Uni n'a aucun intérêt pour une famille de Mangemorts, si ce n'est pas pour recruter d'autres mangemorts, il aurait dû s'en douter. Il retient le commentaire acide qui échapperait beaucoup trop facilement ses lèvres et réfléchit à une façon beaucoup plus pédagogue d'aborder la conversation. Et de la pédagogie, Fabian en a à revendre, plus que du bon sens apparemment. « Tu ne devrais pas t'en foutre autant, tu mangerais mieux, crois moi. » Fabian accompagne le tout d'un sourire énigmatique. Il faut dire qu'après avoir découvert la gastronomie étrangère, il serait bien difficile de se nourrir exclusivement de roast beef et de petits légumes à la vapeur. Mais c'est là tout l’intérêt de l'emmener dîner dans des endroits plus atypiques. Convaincre par l'expérience, et la nourriture, tout un art. Assez malin sur le principe, assez casse gueule aussi dans les fait.

Lorsqu'ils évoquent sa famille, Fabian sourit à sa remarque. « Si, dans la tolérance, mais ça s'arrête à ça. Tolérer. Et comme tu sais sûrement ce n'est pas faire preuve d'une grande ouverture d'esprit que de tolérer seulement. Apprendre à apprécier la différence, ce n'est pas quelque chose que ma famille m'a appris même si ils ont fait le minimum syndical en s'abstenant de torturer et tuer des jeunes moldus comme le font quelques uns de tes anciens camarades de dortoir. Aussi aimants soient t-ils, mes parents sont un peu vielle Angleterre. Ce n'est pas en restant enfermés dans des manoirs qu'on voit les choses telles qu'elles sont vraiment. Il faut sortir un peu, se confronter à la différence, apprécier ce qu'elle peut apporter d'autre, comme cette pizza, ou la weed de Tonks, mais ça c'est une toute autre histoire. » Il s'amuse de la situation. Espère marquer quelques points contre l'endoctrinement. Certaines personnes sont incapables de réfléchir, mais d'autre arrivent à remettre en question leurs perspectives de temps en temps, il faut s'accrocher à cette idée là. « Après tu as raison, ça ne sort pas de nul part, j'ai eu la chance de fréquenter d'autres gens à Gryffondor. Sans vouloir t'offenser, ce n'est pas la diversité qui étouffe la maison Serpentard. »

Prewett était décidément un garçon plein de ressources. Et étonnant, avec ça. Profondément naïf, oui, mais étonnant et Nina se surprit à écouter sérieusement ce qu'il avait à dire sur sa propre famille. Comme si, oh Merlin, elle était intéressée, voire même susceptible de le croire. Et, à la réflexion, peut-être qu'une partie d'elle en avait envie. Envie de croire à ces belles paroles, à cet idéal qu'il peignait savamment, son sourire charmant en guise de pinceau, ses mots simples mais percutants comme couleurs. Elle savait aussi qu'il parlait d'expérience, que ce n'était pas du bon sentiment dans le vent, moins consistant que les nuages de fumée qu'ils soufflaient, lui et ses sympathiques camarades. Prewett défendait plutôt bien sa cause, tout en charme et en tolérance, et il en était certainement conscient, ce qui rendait le challenge bien plus périlleux encore. Il n'avait rien de l'un de ces imbéciles qu'elle pouvait croiser au Ministère, chez qui un battement de cils et l'ombre d'un sourire provoquaient des bouffées de chaleur. Non, avec Prewett, il fallait de la finesse, quitte à s'asseoir cinq minutes sur sa propre éducation. Nina était prête à faire des compromis et même un sacrifice ou deux, si ça signifiait repartir avec quelques informations susceptibles d'intéresser le Seigneur des Ténèbres. « Oh, ça, ce n'est pas très gentil Fabian » glissa-t-elle, feignant d'être offensée par sa vision des Serpentards. Il n'avait pas tout à fait tort, certes, mais s'avouer (con)vaincue tout de suite éveillerait assurément ses soupçons. Elle pencha la tête sur le côté, prétendant réfléchir. « Rappelle-moi d'où sort Meadowes, tu sais, l'auror ? Vous êtes amis, non ? Oh, attends, elle était bien à Serpentard elle aussi ? » Sa bouche s'arrondit en un O de surprise, performance si bien répétée qu'elle en était presque parfaite. Peu spontanée, certes, mais Nina n'était rien sinon une sorcière préparée en toute situation. « Est-ce qu'elle tue et torture des jeunes moldus sur son temps libre ? A moins qu'elle ne soit trop occupée à produire des mâles pour assurer la lignée de son sang-pur de mari ? Puisque c'est tout ce qu'on fait, une fois sortis de Poudlard, pas vrai ? » Elle masqua son amertume d'un éclat de rire cristallin avant de passer un bras sous celui de Prewett. « Nous ne sommes pas tous mauvais, Fabian. Crois-le ou non, torturer des gens parce qu'ils sont différents ne m'intéresse pas vraiment » ajouta-t-elle, sans vraiment y penser. Elle ne s'était jamais attardée sur la question, confortablement installée dans son ignorance, mais l'idée la mettait mal à l'aise soudain.

Nina fait l'offusquée, et Fabian lève les yeux au ciel. Elle joue avec les mots, mais ne comprend pas bien ou le Gryffondor veut en venir. Ou alors elle prétend ne pas comprendre, ce qui ne l'étonnerait pas tant que cela de la Yaxley à la répartie flamboyante. Fabian n'a jamais rien eu contre les Serpentards au grand damne de beaucoup de gens de sa maison d'ailleurs, ce n'est donc pas un argument valide selon lui. Comme elle le souligne si bien, il est ami avec Dorcas. Ce n'est pas vraiment de cette diversité dont il parle évidemment.  « De Serpentard, tout comme mon autre amie Idunn, je ne suis pas en train de dire qu'il n'y a pas de gens bien à Serpentard. Tu n'est pas sans savoir que j'en fréquente beaucoup. Je dis simplement que Salazar Serpentard refuse les enfants de parents moldus, et en admettant que l'un d'entre eux passe entre les mailles du filet, vous ne les fréquenteriez pas de toute façon. Ose me dire que je me trompe. C'est à peine si les sang-mêlés sont acceptés dans vos rangs, la vérité c'est que vous restez entre vous. La diversité, vous ne la côtoyez pas,sauf si ils ont un bon pactole et des relation haut placé au ministère, comme Mulciber. » Il sait qu'il va loin, mais il ne peut pas non plus la laisser raconter n'importe quoi sous pretexte qu'ils mangent une pizza tous les deux. « Tout ce que je veux dire, c'est que tu n'as pas eu la chance de découvrir autre chose, de réaliser que nos familles de sang-pur ne sont pas le centre du monde, même si on a tendance à le penser très jeunes. C'était sûrement mon cas lorsque j'étais enfant. » Il hausse une épaule et avale une gorgée de vin. « Tu me rassures cela dit, ça m'aurait brisé le cœur si tu m'avais avoué torturer des moldus en douce. » Il plaisante, un peu piquant cela dit.