Brother - Sirius

La journée était presque terminée. Elle avait semblé durer une éternité pour Regulus. Il avait du batailler bec et ongle pour ne pas tomber endormi après une mauvaise nuit, et ce, dès la première heure. Il avait pu compter sur Hippolyte pour le tenir éveillé et au moins noircir quelques pages de parchemin, même si ce n’était certainement que du charabia sans queue ni tête. Habituellement, Regulus est un bon élève, qui faisait le maximum pour être à la hauteur des espérances qui reposaient sur lui. Il était devenu « l’héritier » de la famille Black, et maintenant la première personne à qui l’on pensait lorsque l’on parlait de l’honorable famille de sang pur. Il avait toujours rêvé d’être le premier, celui dont on parlerait avec autant de fierté. Toutefois, cette victoire avait un goût amer : il avait gagné une notoriété, mais il avait perdu un frère. Et s’il devait chercher au plus profond de son âme : ce sacrifice n’en valait certainement pas le coup. Ils avaient été proches, maintenant ils n’étaient que deux inconnus, ou pire des ennemis. Le lien était définitivement rompu.

Regulus avait passé le reste de l’après-midi à la bibliothèque pour terminer un devoir, non sans faire quelques micros siestes derrière ses livres, bercés par les conversations insignifiantes de ses amis. Personne ne lui avait fait remarquer ses absences, préférant spéculer chacun de leurs côtés sur les raisons d’un tel manque de sommeil. Il n’était pas question d’une magnifique conquête, pas d’un possible méfait non plus. Regulus faisait simplement des cauchemars. C’était récurrent depuis sa petite enfance. Son imagination fertile se laissait aller à la nuit tombée, lorsque le jeune homme perdait le contrôle. Il était dans une de ses mauvaises périodes. La solution à ce problème ? Attendre et lutter contre le manque de sommeil. Pourtant, il n’avait absolument pas hâte de retourner coucher, craignant une nouvelle nuit cauchemardesque.

Les couloirs étaient vides. L’heure à laquelle les étudiants allaient devoir regagner leurs dortoirs était proche. Regulus ne croisait qu’un groupe de poufsouffle qui pouffaient de rire dans leur coin, tout en marchant vers leur salle commune. Le jeune Black préférait s’installer encore quelques minutes dans l’une des alcôves, sur le rebord large d’une fenêtre. Il appuyait sa tête contre la vitre froide. Dehors, tout était calme et la lune brillait comme une source de lumière réconfortante. Le bruit du vent le berçait. Il se laissait aller dans ses pensées sans en maintenir le fil : il avait oublié de répondre à l’une des lettres de ses parents, qui ne s’intéressaient guère à comment il allait, mais plutôt à ses notes, à vérifier son cercle d’amis et vanter les connaissances qu’allait pouvoir lui apporter sa chère cousine Bellatrix. Ils n’attendaient certainement pas à avoir une réponse. C’était plus pour lui rappeler leurs présences et ce que l’on attendait de lui. C’était la partie de l’héritage dont il se serait bien passé.

Explorer les couloirs de Poudlard n’a jamais été un problème pour les Maraudeurs, qui connaissent chaque recoin du château depuis qu’ils ont douze ans. Mais parfois, ils ont juste la flemme. Tout en ayant faim. Et aucune volonté de sortir de leur dortoir. Alors ils tirent le perdant à la courte paille, ce qui dure bien souvent dix minutes à force de tricheries et de mauvaise foi en tous genres. Ce soir, manque de bol, Sirius se retrouve seul dans les couloirs, avec sa baguette et la Carte – ne manquerait plus qu’il se fasse attrapé pour un détour aux cuisines tiens, l’erreur de débutant – et des pâtisseries plein les poches. Il a passé une demi-heure avec les elfes de maison, à leur taper la discut’ pendant qu’ils préparaient les muffins préférés de James. Et cela en dit long, qu’ils savent exactement ce que les Maraudeurs aiment, non ?

Sirius s’arrête soudainement au coin d’un couloir, fronçant les sourcils alors que son regard se porte sur un élément de la Carte en particulier. Avec un soupire, il fait disparaître l’encre et plie le parchemin avant de le glisser dans sa poche. Sirius sait bien que Poudlard n’est pas si grand que cela et que cela doit bien arriver de temps en temps, mais tout de même. Pourquoi ce soir, en particulier ? Il se tient un peu plus droit, souvenir de trop nombreuses années à être réprimandé par sa mère pour sa mauvaise posture, et affiche un petit sourire méprisant sur ses lèvres avant de tourner et entrer le nouveau couloir. « Tiens, tiens, tiens… Si ce n’est pas l’héritier des Blacks. Où sont tes admirateurs, Regulus ? » Sirius se force à ne pas penser aux lettres d’Andie sur le sujet, ce qui veut évidemment dire qu’il ne peut penser à rien d’autre. Evidemment.

Installé dans un recoin du couloir, Regulus se perdait dans ses pensées. La fatigue se faisait sentir. Ses paupières étaient de plus en plus lourdes, toutefois il luttait. Le sommeil était source de cauchemars. Ses peurs secrètes ressurgissaient, le frappant de plein fouet. Il était dans son petit monde à cet instant, bercé par le bruit du vent qui s’engouffrait dans le couloir et sous les portes. Le froid de la fenêtre le faisait frissonner, le faisant revenir à la réalité un quart de secondes. Le jeune serpentard se relevait et s’étirait. Tout était calme autour de lui, signe qu’il était certainement l’heure de retourner dans son dortoir. Il ne savait pas vraiment s’il avait dépassé l’heure du couvre feu ou non. Il se levait, prêt à quitter son petit coin. Enfin, c’était sans compter l’apparition de son frère.

L’école était immense, mais pas assez pour que les deux frères ne se croisent pas. Pourtant Regulus mettait beaucoup d’énergie à éviter soigneusement son aîné, encore plus lorsque ce dernier était accompagné de ses amis. Enfin son groupe que la plupart des sangs purs auraient qualifié de dégénéré. Le jeune Black avait encore beaucoup trop d’amertume en lui. La trahison était encore une plaie béante au fond de lui. Sirius l’avait abandonné. Il soupira lourdement avant de croiser les bras. Qu’est ce qu’il lui voulait ? Ne pouvait-il pas choisir un autre chemin ? Lui et ses copains étaient bien connus pour leurs tours de passe passe et pour disparaître au détour d’un couloir.

Habituellement il aurait tourné les talons sans prendre la peine de répondre. Sirius était bien plus doué que lui dans les joutes verbales. Etre ridicule n’était pas dans cette habitude. Mais cette fois, il n’y avait pas de public. Il osait. « Je te retourne la question. Je ne te pensais plus capable de te déplacer seul. » Regulus avait une véritable dent contre James plus particulièrement. Il s’efforçait d’arborer un air calme et détendu malgré les sentiments qui l’animaient. Il était très doué pour ça : un véritable Black. « Qu’est ce que tu veux ? » Son aîné n’était très certainement pas là pour prendre des nouvelles de son jeune frère.